Description
Zohra Bitan a plusieurs étiquettes : « dernière gauloise sans filtre de la gauche » parce qu’elle n’est pas aveuglée par l’idéologie, « arabe de service », parce qu’elle aime la France d’amour ou « lèche-sioniste » parce qu’elle se refuse à l’antisémitisme…
Menacée de mort parce que laïque sans concession, elle appelle un chat un chat, même quand c’est un ayatollah qui ronronne.
Sur le terrain, elle apprend aux gamins des cités que « caille-ra » n’est pas un métier d’avenir et que tous les hommes méritent le respect, même les femmes.
Ex-porte-parole de Manuel Valls, elle fait Grande Gueule à la radio et donne des leçons d’authenticité aux politiques.
C’est une guerrière qui a soutenu le combat de son mari contre le HIV et qui a convaincu Djamel Debbouzze de venir animer un vide-grenier.
Sortie du peloton, pas de l’ENA, Zohra a de l’amour et de l’humour à revendre.
Une biographie émouvante, décapante, enthousiasmante, sans tiédeur ni langue de bois, comme l’héroïne elle-même.
Une enfance pauvre et privilégiée
- Une enfance pauvre et privilégiée
L’argent ne fait pas le bonheur, mais en manquer n’est pas non plus une garantie. Pour Zohra Bitan, là n’est pas la question : fille d’immigrés algériens très pauvres, elle a mangé assez de vaches maigres pour savoir qu’un sou est un sou. Mais elle a rencontré assez de riches pour constater qu’ils ne sont pas forcément des privilégiés. Cela dit, un privilège n’existe pas ex nihilo, il ne procède que par comparaison. Par rapport à ses 12 frères et sœurs, Zohra a été très gâtée. Treize enfants. Sept garçons, six filles. Elle est juste au milieu, le numéro 7, six avant elle, six après, mais la première née en France. La princesse.
La mère de Zohra, Saada, a été mariée à 15 ans, en Algérie, à un de ses cousins. Elle a donc toujours gardé son nom de jeune fille. Quand il l’a épousée, M’hamed, né en 1920, dans l’Algérie alors française, avait 18 ans. Issu d’une fratrie de 7 enfants, il a grandi dans un petit village près de Mostaganem, au milieu d’une immense tribu. Conditions de vie précaires, mais amour et bienveillance en abondance. Saada a déménagé dans sa belle-famille. M’hamedest parti travailler en France. Il revenait une fois par an, aux vacances. La plupart des Algériens qui travaillaient en métropole suivaient le même rythme : 11 mois de dur labeur, un mois au pays. Chaque année, M’hamed y retrouvait Saada. Chaque année, elle avait un enfant de plus, conçu lors des vacances précédentes.
Et puis un jour, M’hamed a décidé d’emmener toute sa famille en France. Il avait 43 ans, Saada en avait 39. Ils emmenaient cinq de leurs six premiers enfants. L’aînée, Khedidja, déjà mariée, est restée en Algérie. Elle avait 15 ans, on était en 1963.
La famille est arrivée en France à la fin de cette année et s’est installée dans les bidonvilles de Villejuif. Les parents y ont importé « un mode de vie, des traditions, qu’ils nous ont transmis comme si la frontière entre leur vie au pays et la France n’existait que sur des cartes. Dans leur tête, le rythme du douar imprégnait le quotidien, même si la vie à la française y faisait des incursions. Papa portait des costumes, parlait un français écorché et respectait toutes les règles du pays d’accueil, mais dans sa tête, il était encore là-bas. »
Zohra est née le 5 janvier 1964 à la Pitié-Salpêtrière. D’une certaine façon, elle a symbolisé la transition vers la vie de couple, d’un mariage virtuel, où les époux n’étaient ensemble qu’un mois sur douze.
Née à Paris, Zohra est devenue Française à l’âge de 18 ans. Par le droit du sol, confirmé par son choix, lorsqu’elle est devenue majeure. Elle était la première de la famille à avoir cette possibilité. Ses parents l’avaient investie, dès la naissance, de porte d’entrée dans la nouvelle patrie. Elle était celle qui saurait parler, qui saurait lire, qui saurait déchiffrer les arcanes de l’administration. Du coup, elle était la plus belle, la plus intelligente, la plus studieuse… mais aussi la plus fragile : « il fait froid, mettons une écharpe à Zohra ! Il fait chaud, mettons-lui un chapeau ! » disait sa mère, suscitant involontairement, dans la fratrie, une jalousie et une animosité vis-à-vis de la petite, qui n’avait rien demandé.
En 1967, la famille quitte le bidonville : elle est relogée dans une cité de transit en Touraine. C’est là que naissent une petite sœur, en 1967, et un petit frère, deux ans plus tard. Cette année-là, en 1969, la famille est relogée dans un HLM à Tours, Cité Sanitas.
Un des frères aînés de Zohra, employé dans une imprimerie, est victime d’un accident du travail. On doit l’amputer d’un bras. Le père veut quitter la région maudite et s’éloigner. Les souvenirs seront peut-être moins douloureux hors de la vue du lieu de l’accident ? Re-déménagement.
En mars 1972, ils arrivent à Thiais : les parents ont acheté un petit pavillon grâce à la tontine familiale et à un petit prêt bancaire. La tontine familiale ? « Il y a toujours eu, dans notre famille élargie, une grande solidarité. Nous avions un cahier dans lequel on notait qui avait prêté quoi à qui. Les inscriptions se faisaient surtout à l’occasion des mariages. Cela permettait aux donateurs/prêteurs de consigner la dette et aux débiteurs de la rembourser. »
Dans ce petit pavillon insalubre de moins de 100 mètres carrés, sans eau chaude et sans chauffage, ont vécu une quinzaine de personnes : les parents, tous les enfants encore célibataires et le fils aîné marié, avec sa femme. « On était très pauvres, mais on a reçu tant d’amour que cette pauvreté devenait secondaire. »