Gens de Campagnol

première époque

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Collection : Auteur : Pages: 168 ISBN: 9782865533695

Description

Cette réédition d’un livre à succès paru en 2012 chez Flammarion permet de remonter aux origines du regard que porte l’auteur sur la France des « gens simples », en l’occurrence ceux que leur originalité ou leur conformisme opposent au creux des années 90, dans un petit village du sud-ouest français : le curé qui vit avec l’épicière, l’accoucheur pied-noir, la féministe « abonnée à Canal », le coiffeur itinérant homosexuel, le clochard algérien devenu la coqueluche du Conseil général, le menuisier local qui se flatte d’avoir la clientèle du Dalaï-lama, autant de personnages peu convenus, mais archétypiques qui composent un album pittoresque.
Installé en 1984 dans le hameau isolé dont il est question ici, l’auteur a déménagé depuis jusqu’au chef-lieu où se déroule aujourd’hui sa célèbre chronique sur internet. À l’époque de sa première parution, ce petit récit portait un bandeau destiné aux libraires qui disait « À l’écoute de la France qu’on n’entend pas ». La suite promet d’être assourdissante.

Christian Combaz, 70 ans, ancien éditorialiste au Figaro, est l’auteur de nombreux romans et essais, souvent traduits, parfois primés. Il vit toujours dans le village qu’il a choisi à 25 ans. Sa chronique provinciale sur internet est suivie par plus de cent mille personnes chaque semaine.

Extrait

À Campagnol, on entendait un torrent qui jaillissait

au pied de la falaise, le rugissement d’une machine agri-

cole et le passage de l’avion Paris-Montpellier, mais on

n’entendait pas le carillon du clocher. L’horloge était

bloquée à treize heures, l’heure du journal télévisé de la

mi-journée, l’heure où la France qui a le temps regarde

s’agiter l’autre.

Au fond des ruelles tout était immobile, sauf le bord

des nuages, les feuilles des ormes et le coin d’une affi che

qui annonçait un bal pour le mois de juin de l’année

précédente.

Le chef-lieu regardait un paysage de collines le long

d’un plateau calcaire qui courait vers une ville au passé

gallo-romain. Dans un repli de la route, trois bâtisses

grises montaient à l’assaut de la falaise.

La mienne était celle du milieu.

Comme la plupart des victimes de l’exode rural, je

suis passé de l’école locale au collège de la ville et de la

Province à Paris, mais je n’ai jamais donné dans le culte

du brunch à Manhattan, qui représentait, dans ma géné-

ration, le signe le plus patent de la réussite. À 25 ans,

j’ai plutôt retrouvé comme auteur ce pays profond qui

n’avait pas changé depuis mon enfance, un département

écrasé de soleil en été, tourmenté par la bise en hiver,

où l’écho de la modernité soixante-huitarde était très

atténué. On y croisait encore nombre de gens simples

au milieu de qui j’avais été élevé et pour qui la vraie

révolution ne fut pas Mai 68, mais l’apparition, quinze

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combaz

_gens de campgnol.indd 9 imp_combaz_gens de campgnol.indd 9 20/03/2025 09:48 20/03/2025 09:48ans plus tard, d’une chaîne cryptée qui rompait avec le

vocabulaire, l’esthétique et la morale de l’époque.

Posséder le décodeur, c’était appartenir à une sorte

de Club de la Dérision qui traçait en permanence la

frontière entre les corniauds et les autres ; or à l’époque

dont je parle, non seulement la frontière arrivait chez

nous, mais elle passait par chez moi.

Mes voisins étaient éleveurs. Le plus proche, un

garçon triste aux épaules rondes avait fait construire

une villa blanche derrière la ferme de son père, à trente

mètres de la fosse à purin, et sa femme allait partout

répétant qu’elle était bac +3.

À droite, en suivant le toit du hangar, vivaient ses

parents, des Capulet propriétaires et catholiques, jouis-

sant d’une aisance relative, et de l’autre côté se trou-

vaient ses beaux-parents, des Montaigu socialistes qui

lisaient Giono et le Canard enchaîné. Le jeune marié

sortait d’un collège religieux. Son épouse était diplô-

mée de sociologie. Ils avaient fondé leur foyer dans une

maison à crédit, avec chaîne hi-fi dans un meuble de

verre à poignées d’inox, murs en carton crépi, placards

en plastique brillant.

Les deux enfants de leur mariage étaient prétentieux,

couverts de jouets bariolés, habitués à parler avant les

adultes, et dressés, par leur mère, à contester les valeurs

du grand-père paternel, lequel ne disait rien, regardait la

télévision quelques minutes, se couchait à neuf heures

et voulait que les garçons se taisent dès qu’il ouvrait la

bouche.