10 questions sur la Turquie …et 10 réponses qui dérangent

Laurent Artur du Plessis

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Collection : Auteur : Pages: 142 ISBN: 9782865531813

Description

Le référendum sur le Traité constitutionnel européen qui aura lieu en juin ramènera la Turquie au premier plan de l’actualité : la ratification (l’unanimité des 25 États membres étant requise) du Traité constitutionnel européen augmenterait les pouvoirs d’un exécutif européen ayant vocation a être élu au suffrage universel (direct ou indirect) et tout disposé à faire entrer rapidement la Turquie dans l’Europe. Son poids démographique donnerait à la Turquie une majorité relative qui, face à la dispersion des autres pays européens, lui fournirait les clés de l’exécutif européen, notamment dans les domaines de la diplomatie et de la défense.

Aussi, cet essai pose-t-il 10 questions sur la Turquie :
1) Pourquoi la Turquie s’obstine-t-elle à nier, contre toute évidence, le génocide arménien de 1915 (entre autres massacres) qui a fait 1,5 millions de morts, au contraire de l’Allemagne qui a reconnu ses crimes de la période nazie, notamment la Shoah, dès la chute du IIIème Reich ?
2) Pourquoi la Turquie refuse-t-elle de libérer le nord de Chypre, territoire européen qu’elle occupe militairement depuis 1975 ?
3) Pourquoi le gouvernement Erdogan cherche-t-il à étendre le port du voile en Turquie, et à y restaurer la charia (loi islamique) en la substituant progressivement au droit laïc importé d’Occident par Kemal Atatürk ? Ex : la récente tentative de pénaliser l’adultère.
4) Pourquoi le gouvernement Erdogan pratique-t-il systématiquement un double langage (droit-de-l’hommiste vis-à-vis de l’Europe et de l’Occident et islamiste radical à l’intérieur) ?
5) Pourquoi la Turquie soutient-elle des organisations musulmanes fondamentalistes, telles le Milli Gorus, très actif dans les communautés turques d’Europe ?
6) Pourquoi le gouvernement Erdogan utilise-t-il de façon récurrente la menace dans les négociations d’intégration à l’Europe, ce qui dénote une philosophie politique incompatible avec celle des démocraties européennes ?
7) Pourquoi l’Empire ottoman fut-il constamment en conflit avec l’Europe, dont il asservit, plusieurs siècles durant, de vastes zones sans jamais s’y fondre culturellement ?
8) Pourquoi la Turquie est-elle surmilitarisée et surarmée ?
9) Pourquoi la Turquie pratique-t-elle depuis plusieurs décennies une politique « pantouranienne » consistant à rétablir son leadership sur les peuples turcophones d’Asie centrale et du Caucase, principalement au moyen d’une stratégie de réislamisation radicale ?
10) Intégrée à l’Europe, la Turquie, pays sous-développé, ne serait-elle pas un fardeau économique écrasant pour elle (grevant son budget communautaire déjà surchargé, faisant imploser ses systèmes de sécurité sociale et d’éducation etc.) ?

Conclusion : Une Turquie intégrée à l’Europe y agirait comme un puissant dissolvant. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Américains souhaitent l’y faire entrer.

Informations complémentaires

Poids0.19 kg
Dimensions20.5 × 13 × 1.1 cm

Site web de l'auteur

troisieme-guerre-mondiale.com

Extrait

10 questions sur la Turquie – Extraits

Qu’est-ce que la laïcité turque ?

Au sortir de la Première Guerre mondiale, Kemal Atatürk fit entrer à marche forcée la Turquie dans la laïcité : il considérait l’emprise de l’Islam sur l’Empire ottoman comme la cause primordiale de son déclin. Mais Atatürk ne sépara pas complètement la religion et l’État, puisqu’il institua un ministère des cultes (Diyanet) salariant le personnel religieux (exclusivement musulman) et contrôlant ses prêches. Il maintint l’Islam dans son statut de religion d’État, mais en l’inféodant à ce dernier, contrairement à la période ottomane, où l’Islam dominait l’État. Rien à voir avec la loi française de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Mustapha Kemal ne pouvait aller jusqu’à expulser totalement la religion des sphères de l’État, eu égard au rôle majeur de celle-ci dans l’histoire de la Turquie. Mais il biaisa, en choisissant un Islam sunnite à ses yeux conforme aux impératifs unificateurs du jacobinisme, et lui attribua le statut de religion d’État aux dépens des confréries soufies, interdites et rejetées dans la clandestinité. Contrairement à sa lointaine cousine française, la laïcité turque n’a jamais reconnu l’égalité ni même la pluralité confessionnelle. Elle a, au contraire, officialisé la confession sunnite hanéfite, c’est-à-dire un Islam plutôt orthodoxe et traditionaliste, aux dépens de tout autre courant musulman, et a fortiori de toute autre religion. La Turquie moderne inventée par Kemal Atatürk ne connut pas de véritable séparation entre État et religion. Pourtant, c’est dans la coercition et la douleur que le grand homme installa cette laïcité turque si différente de la française. Cet esprit très volontaire ne s’aveuglait pas sur les difficultés : confronté à de fortes résistances religieuses, il attendit prudemment l’année 1937 pour insérer le principe de laïcité dans la Constitution. Kemal Atatürk mort (en 1938, à 57 ans, d’une cirrhose du foie), son bras droit, Ismet Inönü, au pouvoir de 1938 à 1950, s’efforça de maintenir le cap du kémalisme jusqu’en 1946.

La Turquie se réislamise-t-elle ?

La victoire des islamistes de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) aux élections de novembre 2002 (confirmée aux municipales de 2004) est issue d’un processus de réislamisation né il y a plus d’un demi-siècle. La démocratisation de la Turquie, lancée en même temps que la réislamisation, et ensuite diligentée par l’Union européenne, érode le pouvoir de l’armée, gardienne de la laïcité kémaliste, et fait le jeu des islamistes.

La Turquie reconnaîtra-t-elle le génocide des Arméniens ?

La Turquie refuse toujours de reconnaître qu’elle a perpétré en 1915 un génocide contre les Arméniens ayant fait 1 million et demi de victimes.

En tant que chrétiens, le statut des Arméniens dans l’Empire ottoman était celui de dhimmis. Un statut dont le caractère humiliant a été bien mis en évidence par l’écrivain Bat Ye’Or, née en Égypte, de nationalité britannique, spécialiste des minorités religieuses dans les pays d’islam, auteur de plusieurs ouvrages magistraux de renommée internationale, parmi lesquels Juifs et Chrétiens sous l’islam (Berg International, 1994). Le juif et le chrétien vivent en terre d’Islam sous le statut inférieur du dhimmi. La racine de ce mot est ahl al-dhimma, les « gens du pacte », « les gens du Livre » (la Bible), qui sont les juifs et les chrétiens. Les juifs et les chrétiens des territoires islamiques (dar al-islam) se soumettent aux lois islamiques et paient un impôt spécifique, le tribut (jiziya). Il est interdit au dhimmi de commander un « vrai croyant » (c’est-à-dire un musulman), de porter les armes, de monter à cheval, d’épouser une musulmane. Il doit s’abstenir de manifester et propager sa religion, tout en acceptant le prosélytisme musulman. Le dhimmi est objet de mépris pour le musulman, qui doit lui rappeler son infériorité en l’humiliant.
Au fond de l’obstination négationniste du génocide des Arméniens, gît sans doute ce mépris pour le dhimmi, qui a traversé la Turquie kémaliste et ressurgit, plus vivant que jamais, dans les allées du pouvoir islamiste à Ankara.

La Turquie peut-elle devenir l’État phare de l’islam ?

La renaissance du califat, aboli par Kemal Atatürk en 1924, est dans tous les esprits islamistes, y compris celui d’Erdogan, le Premier ministre turc : elle serait le couronnement du processus de réunification de la Oumma, la communauté des croyants, auquel travaillent les fondamentalistes islamiques du monde entier. Les Occidentaux considèrent généralement que cette idée n’a aucune chance de se concrétiser, à cause des divisions interétatiques du monde musulman. Ils ne voient pas que celles-ci ont vocation à se réduire, car l’État n’occupe pas dans le monde musulman une place aussi prépondérante qu’en Occident (où elle décline aussi).

Les civilisations ont tendance à s’organiser autour d’un ou plusieurs États phares, comme le montre Samuel Huntington, qui exercent un effet d’aimantation sur les autres États appartenant à cette civilisation.

Cependant, la candidature turque au rôle d’État phare de l’islam était, jusqu’à des temps récents, grevée par un handicap : celui d’être un État laïque. Le kémalisme, imposant à la Turquie non seulement la modernité mais aussi les valeurs de la civilisation occidentale, notamment celles de la laïcité (quoique sur un mode particulier), en avait fait un pays « déchiré », selon l’expression du professeur Huntington, entre deux systèmes de valeurs. À l’instar de la Russie, elle-même « déchirée » entre les valeurs slaves et européennes. Mais la laïcité turque étant moribonde, l’obstacle se lève. La Turquie s’identifie de plus en plus au monde musulman, de moins en moins à l’Occident. Son charismatique Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, figure de proue de l’AKP, le parti (islamiste) de la justice et du développement, contribue fortement à islamiser l’image de la Turquie dans le monde musulman, la débarrassant de son image de pays « apostat » ayant pactisé jadis avec l’Occident contre les intérêts de l’Islam.
La levée de l’hypothèque kémaliste place la Turquie en position d’être l’État phare du monde musulman. État phare, la Turquie le devient d’autant plus aisément qu’elle a des liens historiques avec les musulmans d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, des Balkans et d’Asie centrale, qui tous furent inféodés à l’Empire ottoman. Les turcophones des Balkans et d’Asie centrale se sentent en symbiose avec la Turquie. Celle-ci entraîne déjà dans son sillage les peuples ouralo-altaïques d’Asie centrale, de langue turque, animés par un esprit panturc ou panouranien dû à une commune origine ethnique : à partir du XIè siècle, le peuplement du territoire turc a largement été assuré par les invasions turco-mongoles, qui submergèrent les indigènes installées depuis l’antiquité, comme les Grecs d’Asie mineure. Les islamistes turcs déploient également leur propagande panturque auprès des musulmans de Crimée, de la Volga et de Sibérie. Nombre d’entre eux ambitionnent même de reconquérir l’ensemble de la Russie. Celle-ci avait subi pendant trois siècles le joug des musulmans. L’incendie de Moscou en 1 382 par les Tatars de la Horde d’or resta gravé dans la mémoire russe. Il fallut toute la pugnacité d’Ivan IV, dit « le Terrible », pour libérer la Russie, grâce à sa victoire de Kazan sur les Tartares en 1 552. Les intégristes islamistes, n’acceptant pas cette défaite pourtant si ancienne, entendent faire retomber la Russie sous influence musulmane. Ainsi, la Turquie, ce n’est pas seulement 71 millions de Turcs, c’est aussi l’ensemble du glacis turco-mongol : des Balkans à la province chinoise du Xinjiang, ces peuples tournent leurs regards vers la Turquie, porte-étendard de l’Islam.
Le prestige historique de la Turquie la désigne pour le rôle de leader de l’Islam. L’empereur ottoman Soliman le Magnifique est dans toutes les mémoires musulmanes. Son long règne (1520-1566) marqua l’apogée de la puissance turque et de la civilisation ottomane. Soliman était un esprit brillant, maîtrisant l’arabe pour la religion, le persan pour les belles lettres dont il était très féru, et le turc pour l’administration. Stratège militaire de talent, il prit Belgrade, Rhodes et la Hongrie en 1 526. Combattant ses ennemis héréditaires, les Habsbourg, il fit le siège de Vienne en 1 529. Le souverain turc ne réussit pas à cueillir la « Pomme d’or » mais l’Europe avait tremblé. Soliman le Magnifique enleva Tunis aux Espagnols en 1534, et Aden aux Yéménites en 1 538. L’empire Ottoman ne cessa pas de menacer l’Europe pendant des siècles. Les Turcs firent une seconde fois le siège de Vienne en 1 683. Ce fut à nouveau un échec, mais pour l’Europe l’alerte avait été chaude, une fois de plus.

Cette vocation impériale ottomane qui avait périclité à cause du caractère étouffant du conservatisme religieux musulman, est maintenant fouettée par le retour de l’Islam en Turquie. La Turquie puise dans le fondamentalisme islamique un carburant hautement énergétique pour elle-même et les peuples turcophones. Son prestige s’étend même bien au-delà : tous les intégristes islamistes vantent le rôle politique et militaire historique des Turcs, guerriers de la foi et soutiens de l’Islam sunnite orthodoxe. Un rôle reconnu dès 1055, quand le calife abbasside conféra pour la première fois le titre de sultan (détenteur de l’autorité politique) au Grand Seldjoukide Toghroul. À partir de cette date, l’hégémonie dynastique turque s’étendit progressivement des Balkans au Turkestan. Le Maroc, le centre et le sud de la péninsule arabique, et l’Afghanistan, furent les seuls, ou presque, à échapper à ce phénomène historique.

La Turquie, qui a vocation à fédérer les peuples turcophones, sera un môle de puissance au sein du monde musulman, dont elle aimantera aisément la partie restante, notamment au Proche-Orient et au Maghreb. Les États intégristes de ces régions s’inféoderont eux aussi tout naturellement à ce nouvel Empire ottoman.

Le nouvel Empire ottoman trouvera des modus vivendi souples avec les États musulmans devenus intégristes, comme il en avait pris l’habitude du temps de sa splendeur. La structure impériale, qui n’est pas celle, centralisatrice et niveleuse, de l’État-nation, tolère les particularismes locaux. Le ciment, c’est l’esprit musulman de la communauté religieuse (Oumma). L’édification de cette structure impériale sera facilitée par l’extrême fragilité de la plupart des États du monde musulman, notamment dans sa partie arabe, menacés d’éclatement par de multiples irrédentismes, et par la venue au pouvoir, tôt ou tard, des fondamentalistes islamiques du cru.

La venue d’une crise économique mondiale serait de nature à exacerber l’aspiration des foules musulmanes à la reconstitution de la Oumma, la communauté musulmane. Une fois aux mains des intégristes islamistes, la majorité des États du monde musulman se regrouperont autour de l’État phare de la civilisation musulmane, la Turquie. Et sous l’autorité religieuse et politique du Grand Calife turc.

Un argument revient souvent dans la bouche des partisans de l’intégration de la Turquie à l’UE : cela l’empêcherait de basculer dans le camp du fondamentalisme islamique et d’entraîner le monde musulman dans une guerre de civilisation contre l’Occident. Cette thèse est absurde : on ne réduit pas le loup à l’impuissance en lui ouvrant les portes de la bergerie. Comment une Europe qui n’ose même plus se proclamer « club chrétien », qui aspire à gommer toute identité pour se fondre dans un Grand Tout universel, comment ce corps spongieux imbibé de droits de l’hommisme pourra-t-il absorber et neutraliser l’islamisme turc renaissant et pugnace ? L’Europe et la Turquie, c’est un couple de forces où la basse intensité est européenne, et la haute intensité turque : celle-ci dominera celle-là. Le revanchisme turc vis-à-vis de l’Europe trouve son chemin dans les naïves enceintes de négociation de l’Union européenne, auprès de dirigeants que rien – ni leurs études, ni leur environnement, ni leur tempérament – n’a préparé à traiter ce type de problème. Ils ne connaissent pas la doctrine théocratique de l’Islam et ils ont pour toute politique une bienveillance érigée en principe absolu. L’Europe, hébétée par la crise aiguë de ses propres valeurs, ne parvient même pas à maîtriser l’épidémie d’intégrisme islamique qui court dans ses banlieues, et elle prétend absorber une masse supplémentaire de plus de 70 millions de musulmans.

Les systèmes éducatifs, judiciaires et sécuritaires des États européens ploient sous la charge : ils sont arrivés à saturation. Tout effort supplémentaire les disloquera. En outre, des aléas économiques mondiaux peuvent surgir à tout moment, anéantissant de façon aussi soudaine que drastique les marges de manœuvre des États européens et paralysant leurs appareils intégrateurs. Malgré cela, les dirigeants européens souhaitent intégrer la Turquie à l’Europe…

Que veut Erdogan ?

Sous la poigne d’un génie politique, Mustapha Kemal Atatürk, la Turquie fut au XXè siècle le pays leader de la laïcité dans le monde musulman. Conduite par un autre homme d’exception, le charismatique Premier ministre islamiste Recep Tayyip Erdogan, elle tourne le dos à la laïcité kémaliste pour renouer avec son identité musulmane multiséculaire. Erdogan est un visionnaire, qui fait de l’intégration de la Turquie à l’Europe le levier pour balayer les derniers obstacles à la réislamisation de son pays. Le but ultime d’Erdogan : le rétablissement du califat, institution politico-religieuse surplombant la Oumma (la communauté des croyants), abolie par Kemal Atatürk en 1924.

Erdogan mise beaucoup sur l’ignorance des Européens en ce qui concerne le credo musulman. Un chrétien-démocrate européen n’a aucune difficulté à admettre la séparation des Églises et de l’État, parce qu’il est influencé par cette parole du Christ : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César ». Au contraire, pour un musulman, extrémiste ou « modéré », la religion doit l’emporter sur tout, elle doit dominer entièrement l’État, aucun secteur de la vie du musulman ne doit lui échapper. Le non-musulman, chrétien ou juif, est réduit au statut inférieur de dhimmi. Le païen, lui, devient esclave ou disparaît. Quand Erdogan présente l’AKP comme un parti islamo-démocrate analogue à un parti chrétien-démocrate, donc admettant la séparation du spirituel et du temporel, il joue sur les mots. Là où prévaut cette séparation du spirituel et du temporel, l’Islam n’est pas complètement appliqué. Seules des institutions théocratiques sont à même de répondre aux exigences de l’Islam.

Erdogan nourrit un grand dessein, qui est celui de tous les islamistes : le rétablissement du califat, cette institution politico-religieuse surplombant la Oumma, la communauté des croyants, que Kemal Atatürk abolit en 1924. Il est persuadé, comme tous les islamistes, que le califat renaîtra de ses cendres, couronnant à nouveau une Oumma dont le morcellement contre-nature en États-nations aura disparu. Les islamistes considèrent l’État-nation comme une création occidentale artificiellement plaquée sur le monde musulman. La renaissance du califat marquera la réappropriation totale par la Turquie du rôle d’État phare de l’Islam qui était le sien pendant la période ottomane.