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À Riyad, Donald Trump redéfinit le Moyen-Orient

Jean-Baptiste Noé

Le 13 mai dernier, en voyage dans le Golfe, Donald Trump a prononcé un discours essentiel à Riyad, qui redéfinit les relations entre les États-Unis et le monde arabe.

C’est un discours de rupture par rapport aux politiques américaines conduites depuis les années 1990. Rupture face à l’idée de « nation building » portée par les néo-conservateurs et les universalistes, rupture face au discours du Caire (2009) de Barack Obama.

Fin de l’universalisme

À rebours de Bush et d’Obama, qui voulaient modifier le Moyen-Orient en y apportant la démocratie, y compris par les armes, en portant sur la région un regard moral, Trump défend l’idée que le développement est d’abord une question interne, et que les États-Unis n’ont pas à s’en mêler.

« Cette grande transformation [du Moyen-Orient] n’est pas le fruit de l’interventionnisme occidental… qui vous donne des leçons sur la manière de vivre ou de gouverner vos propres affaires. Non, les merveilles étincelantes de Riyad et d’Abou Dhabi n’ont pas été créées par les soi-disant « bâtisseurs de nations », « néoconservateurs » ou « organisations libérales à but non lucratif », comme ceux qui ont dépensé des milliards sans parvenir à développer Kaboul, Bagdad et tant d’autres villes. Au contraire, la naissance d’un Moyen-Orient moderne est le fruit des efforts des peuples de la région eux-mêmes… qui ont développé leurs propres pays souverains, poursuivi leurs propres visions et tracé leur propre destin. »

Il enterre plus loin le nation building des universalistes :

« Finalement, les soi-disant « bâtisseurs de nations » ont détruit bien plus de nations qu’ils n’en ont construites, et les interventionnistes sont intervenus dans des sociétés complexes qu’ils ne comprenaient même pas eux-mêmes. »

Fort de ce constat, il propose de renforcer les relations avec l’Arabie saoudite, qui demeure le pays central de la diplomatie américaine au Moyen-Orient :

« Nous célébrons plus de 80 ans de partenariat étroit entre les États-Unis et le royaume d’Arabie saoudite. » Après avoir rappelé la rencontre historique de 1945 entre Roosevelt et Ibn Saoud. Il affirme que les relations bilatérales sont aujourd’hui « plus fortes que jamais » et « le resteront ». Trump a loué la modernisation et le développement de l’Arabie saoudite, face à un public aux anges : « La transformation qui s’est opérée sous la direction du roi Salmane et du prince héritier Mohammed a été vraiment extraordinaire. » Il s’est dit impressionné par les projets d’urbanisme et les expositions technologiques : « Je n’ai jamais rien vu de tel. » Il a insisté sur l’émergence d’un « Moyen-Orient moderne » dirigé par des « peuples souverains poursuivant leur propre vision ».

Au niveau régional, Trump a de nouveau affirmé son soutien aux accords d’Abraham, en appelant à une extension de ceux-ci et à un approfondissement.

Le cas de l’Iran

Les propos sur l’Iran comptaient parmi les grandes attentes de ce discours, surtout de la part d’un Trump qui a rompu les accords précédemment signés. Il a réaffirmé que le pays ne devait pas posséder la bombe nucléaire : « L’Iran n’aura jamais d’arme nucléaire. ». Cela dit, il a souhaité ouvrir un nouveau chapitre avec l’Iran : « Je ne suis pas ici aujourd’hui pour condamner le chaos passé des dirigeants iraniens, mais pour leur offrir une nouvelle voie, une voie bien meilleure vers un avenir bien meilleur et plus prometteur. »

Un accord qui permet de conclure une paix régionale, qui assure le commerce entre l’Iran et les États-Unis. L’annonce de la fin des sanctions économiques contre la Syrie, qui a été l’une des grosses surprises de Riyad, est un message envoyé à l’Iran sur le fait que de telles levées pourraient aussi avoir lieu pour ce pays.

Trump a dressé le parallèle d’un monde arabe en plein essor face à un monde iranien qui s’effondre :

« Alors que vous construisez les plus hauts gratte-ciels du monde à Djeddah et à Dubaï, les monuments emblématiques de Téhéran datant de 1979 s’effondrent en un amas de gravats et de poussière. »

« Alors que votre savoir-faire a transformé des déserts arides en terres agricoles fertiles, les dirigeants iraniens ont réussi à transformer des terres agricoles verdoyantes en déserts arides »

Si Donald Trump ne veut plus d’interventions militaires dans le monde arabe et s’il s’oppose au nation building, il n’exclut néanmoins pas le recours à la force quand les intérêts américains sont menacés. C’est notamment ce qui a été réalisé au Yémen pour combattre les attaques des Houthis.

« À la suite d’attaques répétées contre des navires américains et la liberté de navigation dans la mer Rouge, l’armée américaine a lancé plus de 1 100 frappes contre les Houthis au Yémen. En conséquence, les Houthis ont accepté de cesser… Nous les avons frappés durement, nous avons obtenu ce que nous voulions, puis nous sommes partis. »

Une manière d’opérer qui illustre la méthode Trump : une intervention ponctuelle pour régler un problème, mais sans installation à long terme, comme ce fut le cas en Afghanistan et en Irak, et sans volonté non plus de modeler le Yémen et de chercher à en faire une démocratie.

C’est là aussi un message envoyé à l’Iran : si nécessaire, les États-Unis pourraient frapper, mais ils ne chercheront pas à renverser le régime iranien et à faire à Téhéran de l’ingénierie politique.

« Ces dernières années, beaucoup trop de présidents américains ont été obsédés par l’idée qu’il nous appartient de scruter l’âme des dirigeants étrangers et d’utiliser la politique américaine pour rendre justice à leurs péchés… Je crois que c’est à Dieu de juger — mon travail [est] de défendre l’Amérique et de promouvoir les intérêts fondamentaux que sont la stabilité, la prospérité et la paix. »

Le grand absent

Dans ce discours, Israël n’a été cité qu’une seule fois, lors d’une référence à l’attaque du 7 octobre 2023 : « Tous les peuples civilisés doivent condamner les atrocités commises le 7 octobre contre Israël ».

Rien d’autre sur Israël, où Trump ne s’est pas rendu, afin de ne pas polluer son message et pour éviter les récupérations politiques. Beaucoup y ont vu un camouflet de la politique conduite par Netanyahou, d’autant que le président américain a apporté un soutien clair aux civils de Gaza :

« La façon dont ces gens sont traités à Gaza est inacceptable. Il n’y a aucun endroit au monde où les gens sont traités aussi mal. C’est horrible. »

Le Hamas et le Hezbollah sont eux aussi à peine cités (trois occurrences), mais c’est pour promettre de poursuivre la lutte contre ces entités.

Enfin, Donald Trump a promis un avenir radieux au Liban, débarrassé de ses élites corrompues et de la gangrène du Hezbollah et du Hamas. Un discours qui s’est terminé de façon lyrique, où il a promis le meilleur pour la région, la paix et la prospérité.

On peut ne pas suivre le président américain dans ses envolées lyriques qui confinent parfois à un certain irénisme. Toujours est-il que ce discours de Riyad marque une rupture intellectuelle majeure, déjà suivi d’effets puisque les sanctions contre la Syrie ont été levées et que l’UE a pris les mêmes dispositions. Reste à voir ce que cela donnera pour l’Iran et pour le Liban.