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Comment les monarchies du Golfe ont soutenu Israël depuis octobre 2023 contre les Palestiniens

Comment les monarchies du Golfe ont soutenu Israël depuis octobre 2023 contre les Palestiniens
par Edouard Husson 21 mai 2025
Le Courrier des stratèges

Sans les monarchies du Golfe, Israël n’aurait pas pu, depuis dix-huit mois, maintenir son économie à flot tandis qu’il effectuait génocide contre les Palestiniens de Gaza et était engagé dans une guerre sur de multiples fronts. Pour comprendre ce qui a rendu possible le génocide des Palestiniens à Gaza, il ne faut pas seulement parler du soutien militaire états-unien, britannique et allemand ni de la complicité de la plupart des Etats-membres de l’Union Européenne. Les monarchies du Golfe ont joué un rôle, obligatoirement discret du fait de leur opinion publique, mais décisif comme le montre un article très fouillé du média « The Cradle », dont nous donnons ici des extraits significatifs. On comprend aussi dans l’article comment le clan Trump compte sur les monarchies du Golfe pour aider les Etats-Unis à se sortir du bourbier créé par Israël sans pour autant faire place aux exigences légitimes des Palestiniens.

Le magazine The Cradle est l’une des meilleures sources d’analyse sur le Proche-Orient contemporain. Nous l’avons souvent utilisé pour informer nos lecteurs, depuis le début de la Guerre de Gaza, et leur proposer des analyses originales. Ce média publie une analyse qui montre l’envers du décor actuellement au Proche-Orient, particulièrement intéressant pour décrypter, par ricochet, la politique en zigzag de Donald Trump face à Israël:

Alors que Bahreïn et les Émirats arabes unis ont officialisé la normalisation de leurs relations avec Tel Aviv dans le cadre des accords d’Abraham de 2020, négociés par les États-Unis, d’autres États comme l’Arabie saoudite et le Qatar ont joué un rôle plus discret mais tout aussi crucial. Riyad, souvent décrite comme l’architecte de la normalisation, et Doha, qui se cache derrière son étiquette de « médiateur », ont chacune aidé l’État occupant de manière décisive.

Bien qu’une grande partie de cette aide reste dans les coulisses, elle a été reconnue à plusieurs reprises par des responsables américains et israéliens. Au cours de son premier mandat, le président américain Donald Trump a un jour avertit que « Israël serait en grande difficulté sans l’Arabie saoudite », tandis que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que les dirigeants arabes considèrent désormais Israël « non pas comme leur ennemi, mais comme leur plus grand allié », ajoutant qu’ils « veulent nous voir vaincre le Hamas ».
Le commerce des monarchies du Golfe avec Israël n’a fait que croître depuis octobre 2023
Certains lecteurs seront choqués d’apprendre, s’ils ne l’ont pas déjà lu ailleurs, que non seulement les monarchies du Golfe ont augmenté leur commerce avec Israël depuis dix-neuf mois mais qu’elles ont, ce faisant, procuré au gouvernement Netanyahou une bouée de sauvetage économique.

Malgré le soutien populaire massif dont bénéficie la Palestine dans tout le monde arabe et les appels croissants à des boycotts populaires, le commerce entre le golfe Persique et Israël n’a fait que croître. Les Émirats arabes unis sont désormais le premier partenaire commercial arabe d’Israël, tandis que le commerce de Bahreïn avec Tel-Aviv a bondi de 950 % au cours des dix premiers mois de la guerre à Gaza.

Même en pleine guerre et malgré les efforts de boycott, des produits « certifiés casher » provenant de pays arabes continuent d’entrer sur les marchés israéliens. Des marques basées aux Émirats arabes unis, telles que Al Barakah Dates et Hunter Foods, ainsi que la société saoudienne Durra (fournisseur de sucre), ont maintenu leurs circuits commerciaux.

Le Qatar a exporté des matières premières pour la fabrication de plastiques utilisés dans l’industrie israélienne. Bahreïn est allé jusqu’à reconnaître officiellement comme étant d’origine israélienne des produits fabriqués dans des colonies illégales de Cisjordanie. (…)

Lorsque le blocus du Yémen a perturbé les voies maritimes pour les cargaisons liées à Israël dans la mer Rouge, coupant 70 % des importations alimentaires de Tel-Aviv, ce sont les États du golfe Persique qui se sont empressés de combler la brèche. Les Émirats arabes unis ont créé un corridor logistique terrestre entre Dubaï et Tel-Aviv via l’Arabie saoudite et la Jordanie, et Bahreïn a réaménagé ses ports pour servir de centres d’expédition alternatifs pour les marchandises israéliennes en provenance d’Inde et de Chine.
Les bonnes affaires de Jared Kushner
On se rappelle que nous avions souligné que le projet Trump de « Riviera » à Gaza faisait curieusement écho aux idées lancées par Jared Kushner un an auparavant lors d’une conférence à Harvard. Eh bien on ne sera pas étonné de voir que le gendre de Donald Trump, aussi retiré soit-il de la politique, reste au cœur de la « normalisation économique » des relations entre Israël et les monarchies du Golfe.

Plus insidieusement, les investissements du golfe Persique alimentent directement l’expansion des colonies israéliennes. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ont injecté des fonds dans Avenue Partners, une société présidée par Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, qui continue de conseiller l’administration Trump à distance.

Cet argent est versé à Phoenix Holdings, qui finance des banques clés impliquées dans la construction de colonies – Leumi, Hapoalim et Discount Bank – ainsi que des entreprises de télécommunications comme Cellcom et Partner, et des entreprises de construction comme Electra et Shapir, qui opèrent toutes dans les territoires palestiniens occupés.
L’assistance militaire à Israël
La ccopération n’est pas seulement économique; elle concerne aussi la logistique des guerres israéliennes:

Dès les premiers jours de l’offensive israélienne sur Gaza, les Émirats arabes unis ont renforcé leurs relations militaires stratégiques avec l’État occupant. En 2024, Balkan Insight a révélé qu’une entreprise liée aux Émirats arabes unis, Yugoimport-SDPR, avait exporté pour 17,1 millions de dollars d’armes vers Israël via des avions militaires directement impliqués dans le bombardement de Gaza. (…)

L’un des signes les plus évidents de l’intensification de la coopération en matière de sécurité a été révélé par Axios, qui a dévoilé l’existence d’une réunion secrète tenue en 2024 à Bahreïn entre le chef de l’armée israélienne Herzi Halevi et de hauts responsables militaires de Bahreïn, d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Jordanie et d’Égypte.

Sous la supervision du Commandement central américain, ce sommet était axé sur la lutte contre les représailles iraniennes et la perturbation des flux d’armes vers Gaza provenant des forces de résistance en Irak et au Yémen, opérations qui transitent souvent par l’espace aérien contrôlé par le golfe Persique. (…)

Dans le même temps, le Qatar a discrètement renforcé sa coordination militaire avec Tel-Aviv. Doha continue de s’approvisionner en pièces détachées pour ses chars, ses véhicules blindés et ses avions ravitailleurs auprès de fournisseurs israéliens, et son armée a participé à des exercices conjoints avec Israël et d’autres États du golfe Persique, notamment en Grèce il y a un peu plus d’une semaine.

[..] Les États du golfe Persique ont facilité l’acheminement d’armes vers Israël grâce à des canaux de soutien logistique. Alors que les États-Unis intensifiaient leur « pont aérien sans précédent » pour acheminer des dizaines de milliers de missiles, de munitions et de composants du système Iron Dome, l’espace aérien et les bases du Golfe sont devenus essentiels.

Les livraisons d’armes américaines ont transité par l’Arabie saoudite, Bahreïn, la Jordanie et surtout le Qatar, où la base aérienne d’Al-Udeid, qui abrite le Commandement central américain, a servi de plaque tournante pour au moins 18 transferts documentés. Plusieurs ont été acheminés via Chypre afin d’éviter le suivi direct des vols.

Aux Émirats arabes unis, l’aéroport international de Dubaï est devenu une escale pour les réservistes israéliens arrivant d’Asie. Coordonnées par le consulat israélien à Dubaï, ces liaisons aériennes ont acheminé des soldats vers la guerre à Gaza. Les autorités émiraties ont également organisé des séjours de détente pour les troupes israéliennes entre deux déploiements et ont autorisé des organisations juives de Dubaï à envoyer des colis de soutien aux militaires d’occupation.
Un projet concurrent à la Belt and Road Initiative chinoise
Les monarchies du Golfe jouent à fond de l’ambiguïté que représentent leurs bonnes relations avec les BRICS et avec les Etats-Unis de Trump pour développer sans vergogne un projet alternatif à la « Belt and Road Initiative » (les « Nouvelles Routes de la Soie » chinoises.

Au début du mois, alors que Trump se préparait à se rendre en Arabie saoudite pour solliciter des investissements dans les infrastructures américaines, le ministre israélien de l’Énergie, Eli Cohen, a dévoilé un projet de pipeline régional reliant Ashkelon à l’Arabie saoudite via Eilat.

Ce projet s’inscrit dans le cadre du Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC), une alternative soutenue par les États-Unis à l’initiative chinoise « Belt and Road Initiative » (BRI), qui relie les Émirats arabes unis, la Jordanie et les territoires palestiniens occupés.

Dans le même ordre d’idées, Nasser bin Hamad Al Khalifa, fils du roi de Bahreïn et président de Bapco Energy, a annoncé la vente d’une participation dans un pipeline à BlackRock, le géant américain de l’investissement connu pour ses liens financiers avec les colonies israéliennes. Cet accord ne peut être dissocié du programme plus large de normalisation.
Pour réaliser un génocide, il faut des complicités
Nous avons fréquemment souligné la complicité des Etats-Unis et d’un certain nombre d’Etats européens avec le gouvernement Netanyahou. L’enquête publiée par The Cradle a pour avantage de fournir une autre série de pièces pour compléter le puzzle.

Si le débat public français était encore mené selon des critères rationnels, on saurait gré au média de nous apporter une preuve de plus, si besoin était, que la guerre de Gaza n’a rien à voir avec une « guerre des civilisations ». Israël n’affronte pas « le monde arabe » ni « l’islam »: il entend, grâce au soutien de pays de pratique, de culture ou d’imprégnation chrétienne et d’autres pays de pratique, de culture ou d’imprégnation musulmane mettre en œuvre le nettoyage ethnique des Palestiniens chrétiens et musulmans – ou, à défaut, leur génocide.