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La destruction totale du capital

Par Philippe Fabry

C’est pratiquement une tautologie que de dire qu’une économie capitaliste ne saurait fonctionner sans capital.

Pourtant, il paraît bon de le rappeler à une époque où l’on s’étonne bruyamment qu’une économie capitaliste ne fonctionne pas alors que le capital n’existe plus, et a été remplacé par la dette – pour ceux qui ont encore les moyens de s’endetter.

Remontons un peu le temps : à la fin du XIXe siècle, sous la jeune IIIe République, les entreprises trouvaient essentiellement leur financement dans leurs propres profits et l’épargne de leurs propriétaires : on estime à 70 % la part de « l’autofinancement » à l’époque. Il faut dire que les impôts d’alors étaient très faibles, n’ayant à financer un Etat qui ne pesait que pour moins de 10% dans l’économie nationale (contre le quasi-sextuple aujourd’hui) : puisque l’Etat n’était pas là pour voler le capital produit par l’impôt, l’épargne pouvait être forte sans trop d’efforts et fournissait donc un capital facile d’accès, en particulier pour les petites entreprises, sans faire trop intervenir ni l’Etat, ni les banques.

Cela ne devait pas trop plaire à l’un et aux autres puisque fut voté, en juillet 1914, un mois avant le déclenchement de la Grande guerre, l’impôt progressif sur le revenu, lequel devait permettre d’une part à l’Etat de commencer à s’enrichir sur le dos de la population, et aux hommes de l’Etat à entretenir des clientèles politiques, et d’autre part donner le coup d’envoi à l’essor important des financements intermédiés.

En effet, dans la mesure où l’Etat captait désormais à la source une partie du capital nécessaire au financement des entreprises – c’est-à-dire dans la poche de leurs propriétaires – les entreprises, dont le besoin en capital n’avait pas diminué (faut-il rappeler cette élémentaire vérité économique que c’est le capital qui paie les salaires, et non les bénéfices ?)  durent bien le trouver quelque part : chez les banquiers, dont l’activité de crédit fut naturellement stimulée par cette nouvelle demande – sans qu’un quelconque effet positif ne se fît sentir sur l’économie, naturellement : en réalité, cette institution de l’impôt sur le revenu avait l’effet d’un protectionnisme pour les banquiers, soudain protégés de la concurrence dans la fourniture de capitaux que leur faisaient jusque-là les entreprises en se finançant elles-mêmes.

Mais comme cela n’était pas assez, l’on instaura en 1948 l’impôt sur les sociétés, qui permettait désormais de saisir aussi l’argent qui aurait eu l’idée saugrenue de ne pas quitter les caisses des personnes morales et donc ne pas rémunérer les personnes physiques, nourrisant au passage l’impôt sur le revenu.

Est-il surprenant, dans ces conditions, que l’après-guerre ait connu un boom de l’intermédiation financière ? En réalité, on le voit, fondamentalement artificiel puisque résultant de manipulations économiques par la fiscalité, et une nouvelle connivence entre l’Etat et les banques, ces dernières bénéficiant d’un système fiscal qui, dans ses effets, consiste en une redistribution de la richesse partiellement au profit des établissements de crédit.

Cette connivence, naturellement, devait s’accentuer avec le développement de la technocratie française issue de l’ENA – elle aussi fruit de cette funeste époque – laquelle plaça au fil du temps ses rejetons – les inspecteurs des finances – à la tête de toutes les plus grandes banques françaises.

En résumé, depuis maintenant un siècle, l’Etat capte le capital directement dans les entreprises qui le produisent et qu’il devrait, en toute logique, financer, pour le dépenser pour son compte.

De leur côté ces entreprises, qui ont besoin de capital, se financent auprès des banques, qu’elles doivent rémunérer avec un intérêt – lequel peut être qualifié d’impôt bancaire, pour ce qui est de la part de capital que l’entreprise emprunteuse n’aurait jamais dû avoir à emprunter, si l’Etat ne l’avait pas précédemment volée.

Les banques, quant à elles, ont profité durant des décennies de ce protectionnisme étatique et vécu sur une extraordinaire rente de situation, la demande pour leurs prêts étant artificiellement soutenue par la prédation étatique sur le capital des entreprises.

Naturellement, au fil des ans, ce jeu pèse de plus en plus sur des entreprises dont les profits sont comprimés par la fiscalité.

Est alors venu le temps des solutions hypocrites ou débiles, selon l’intelligence que l’on attribuera à leurs inventeurs, avec la création d’établissements comme Oséo ou finalement la fameuse Banque Publique d’Investissement, et dont l’objet est de prêter aux petites entreprises, parce que… les banques ne leur prêtent pas assez.

Il faut dire que toutes ces manipulations économiques ont fini par accoucher d’une population de mauvais payeurs : la captation par l’Etat des profits des entreprises et leur redistribution sous forme de subventions (rappelons qu’en France, le montant de la totalité des aides aux entreprises égale celui des recettes de l’IR, de l’IS et l’ISF réunis) ont produit une économie dans laquelle un tas d’entreprises non viables vivent au crochet d’un tas d’autres, celles qui sont rentables mais sont entravées par la somme des coûts artificiels et illégitimes qui grèvent leur activité (impôts étatiques et bancaires).

Bref, on aura reconnu ici, à l’échelle des entreprises, ce socialisme qui n’a jamais fonctionné nulle part, même sur un malentendu : comme ailleurs, il consiste à prendre aux entreprises efficaces (qui produisent du capital, c’est-à-dire rentabilisent leurs investissements) le capital produit pour le redistribuer, d’une manière nécessairement moins efficace puisque d’une part une partie du capital volé est englouti dans les administrations chargées de le redistribuer sans en augmenter la valeur, et d’autre part il est, au moins partiellement, distribué à des entreprises qui n’en feront pas un usage aussi efficace que celles qui l’ont produit.

Si l’on ajoute à cela que les entreprises elles-mêmes dépensent des ressources afin de capter les subventions, l’on retombe sur la loi économique de Bitur-Camember, ou loi de la Destruction Totale, formulée par l’économiste François Guillaumat et voulant que l’Etat détruit, en tendance, toute la richesse dont il s’empare.

On a donc consciencieusement fabriqué, durant un siècle, une grosse machine à détruire le capital.

Les leçons ne sont toujours pas apprises, puisqu’aujourd’hui, alors que les petites entreprises et les individus tendent naturellement à revenir vers les méthodes qui marchent, spécifiquement avec le crowdfunding, il se trouve forcément des hommes de l’Etat pour s’inquiéter  pour les investisseurs, et l’AMF de réglementer tout cela.

Et après cela, on s’étonne que la croissance ne revienne pas.

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