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La France sans voix au sommet de l’OTAN : le naufrage stratégique de l’Europe à La Haye

Par Giuseppe Gagliano Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie)
/ 4 juillet 2025

Derrière les portes vitrées et les déclarations solennelles du sommet de l’OTAN à La Haye, c’est l’une des humiliations diplomatiques les plus cuisantes de ces dernières années qui s’est jouée pour la France. Oubliez le « renforcement de l’unité euro-atlantique » ou la « défense de l’ordre libéral » : pour Paris, ce sommet a été la démonstration éclatante de sa marginalisation. Et, par ricochet, celle de l’insignifiance stratégique de l’Union européenne dans le grand jeu sécuritaire occidental.

Le fait de départ est aussi paradoxal que révélateur : dans le communiqué final du sommet, le mot « Europe » n’apparaît même pas une seule fois. Ce n’est pas une coquille, mais un message politique. Malgré les efforts de l’Élysée pour y glisser au moins une allusion au rôle du continent, la tentative a sombré dans un silence gêné. Aucun soutien, aucun écho. Pire encore, cette initiative a été accueillie avec une condescendance glacée. Résultat : une Europe absente même du lexique officiel de l’alliance censée la protéger.

L’illusion de l’autonomie stratégique et la réalité de la soumission

Pour mesurer l’ampleur du désastre, il faut aller au-delà des jeux diplomatiques et décoder la structure profonde des organisations comme l’OTAN ou l’Union européenne. Selon Husson, ce sont ces architectures elles-mêmes qui empêchent les dirigeants français d’agir dans l’intérêt national. Les élites qui hantent Bruxelles et Washington se sont habituées à renoncer à toute forme d’autonomie, devenant non plus des décideurs, mais des exécutants. En d’autres termes, ce ne sont plus des dirigeants, mais des dirigés.

Et lorsque viennent les choix cruciaux — guerre, paix, budget, relations avec la Russie ou la Chine — l’Europe, France comprise, s’aligne systématiquement sur la position du locataire de la Maison-Blanche. Que ce soit Trump ou Biden, peu importe : l’Union européenne obéit. Non par contrainte militaire ou financière, mais par une forme d’automatisme culturel, une soumission idéologique désormais intégrée.

L’échec stratégique d’Emmanuel Macron

Dans ce contexte, Emmanuel Macron apparaît comme un illusionniste ayant perdu la main. En paroles, il ne cesse de revendiquer une « autonomie stratégique européenne », une défense continentale, un dialogue multipolaire. Mais dans les faits, chaque tentative d’affirmation est neutralisée ou ignorée. Le sommet de La Haye en est la preuve irréfutable. Macron a essayé d’imposer une simple mention du mot « Europe » : même cela lui a été refusé. Pas même une concession symbolique ne lui a été accordée.

Quelles leçons pour la France ?

Pour Husson, ce sommet appelle une révision profonde de la stratégie française. Première leçon : la France ne doit plus compter sur des structures comme l’OTAN ou l’Union européenne pour défendre ses intérêts. Au contraire, ce sont ces structures qui les neutralisent. Il ne s’agit pas nécessairement de quitter ces organisations, mais de s’en détacher progressivement. Moins d’alignement, plus d’autonomie réelle.

Deuxième leçon : tant que l’Europe continuera à se soumettre systématiquement à la volonté américaine, aucune vision européenne de la sécurité ne pourra émerger. L’OTAN n’est pas une alliance entre égaux : c’est le prolongement de la puissance militaire des États-Unis. La France doit choisir entre rester dans ce schéma en tant que vassale ou rouvrir le dossier de sa souveraineté stratégique.

Un défi pour toute l’Europe

La réflexion de Husson dépasse le cas français. Si l’Europe veut exister comme acteur politique et non comme zone d’influence, elle doit s’émanciper des illusions atlantistes. Les discours sur l’« autonomie stratégique » ne suffisent plus. Il faut construire cette autonomie à travers des politiques industrielles, militaires et diplomatiques indépendantes. Et il faut le faire malgré l’inertie des institutions européennes, qui récompensent la soumission et punissent le courage.

Le sommet de La Haye n’a pas seulement été un échec français. Il a été un miroir impitoyable de la dépendance européenne. Paris aurait pu — aurait dû — former un front de résistance. À la place, elle a accepté l’humiliation. La leçon est limpide : tant que l’Europe sera absente des documents, elle restera absente de l’Histoire.

Marginalisation de la France au sommet de l’OTAN
Giuseppe Gagliano
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d’études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d’étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l’accent sur la dimension de l’intelligence et de la géopolitique, en s’inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l’École de Guerre Économique (EGE)

Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/

avec l’Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l’Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/