L’affaire Molière

Denis Boissier

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Collection : Auteur : Pages: 320 ISBN: 9782865531622

Description

Mon premier est une invention de la Révolution française et du Romantisme.
Mon deuxième est un dieu pour les dévots de la Sorbonne.
Mon troisième est la belle évidence des biographes sentimentaux et des comédiens candides.
Mon quatrième est la plus étonnante imposture de la littérature française.
Mon tout se nomme Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

Le biographe Pierre Le Gall s’interrogeait : «Corneille a-t-il écrit les œuvres de Molière… La question ne doit pas être posé. Elle ne le sera donc pas. »
Et bien, cette question sera posée. Et la réponse est dans ce livre. On y apprend que Molière, dont on n’a jamais retrouvé aucun manuscrit, aucun brouillon, aucune correspondance, Molière, que personne n’a jamais vu écrire, est un homme aux multiples secrets.
Après une minutieuse enquête basée sur les biographies les plus reconnues et les recherches les plus pertinentes, une conclusion s’impose : Molière est le porte-parole et le prête-nom de Pierre Corneille.
Pendant plus de vingt années, derrière le masque du « premier farceur de France », Corneille va dénoncer les marquis ridicules, les Précieuses, les dévots trop mondains, l’étouffante hypocrisie ambiante. Tous ceux dont il avait souffert. Signe des temps, Louis XIV soutient le comédien.
Et c’est ainsi que Molière le richissime va sauver Corneille le nécessiteux, permettant au véritable auteur des comédies, que ses contemporains disaient « fini », de développer toute la mesure de son génie.

C’est Pierre Corneille, l’auteur du Cid, qui a écrit les chefs-d’oeuvresignés Molière, de Tartuffe à Dom Juan, du Misanthrope à l’AvareMolière n’a jamais été « le génie » que la Révolution française puis leRomantisme ont fait de lui ; il n’a jamais rien écrit de sa main. Celivre nous révèle l’histoire du pacte secret qui lia le grand poête augrand comédien.

Informations complémentaires

Poids0.42 kg
Dimensions24 × 15.5 × 2.7 cm

Extrait

RÉSUMÉ

 « Des propositions, déconcertantes au premier abord, ne le sont que pour être détachées des analyses qui les ont dégagées. » Georges Couton, Corneille (1958), p. 164.

 Bien que notre thèse soit originale dans sa forme, ses analyses et ses développements, elle doit tout, pour ses prémices, à une intuition de Pierre Louÿs, qui donna matière, en octobre 1919, à trois courts articles dans le journal Le Temps et la revue Comœdia. Elle fut à l’époque – et même aujourd’hui – jugée inacceptable. Elle était simplement révolutionnaire, au sens étymologique du mot.

Notre thèse se résume ainsi : Molière, qui s’est revendiqué toute sa vie comédien, chef de troupe et directeur de théâtre, n’a écrit aucune des pièces connues sous son nom, ni intellectuellement, ni moralement, ni plume à la main.

Les trente-trois œuvres de « son » théâtre ont été :

· soit « raccommodées » par des collaborateurs à partir de comédies françaises, de pièces espagnoles ou de canevas de farces italiennes (par ordre croissant  des emprunts) ;

· soit achetées à des auteurs plus ou moins nécessiteux (Dassoucy, Chapelle, Boursault, Donneau de Visée, Subligny…), ou à leurs veuves (celle du farceur Prosper, Mme Lesclache…) qui n’en retirèrent qu’un bénéfice financier ;

· soit commandées à Pierre Corneille, dans une clandestinité qui dura plus de vingt ans, au grand bénéfice des deux associés.

Pour tous ses contemporains, Corneille était l’inventeur de la comédie de caractères et le plus grand poète du siècle. Mais, dès 1652, on voyait surtout en lui un homme « fini ».

Une association, en 1658, avec Molière qui voulait créer le troisième théâtre de Paris, offrait à Corneille quatre avantages majeurs :

1) En favorisant la carrière de Molière, il continuait de satisfaire son penchant pour la comédie de mœurs avec laquelle il avait commencé sa carrière, mais que sa gloire d’auteur tragique empêchait d’exprimer.

2) N’ayant plus, grâce au prête-nom Molière, à redouter les foudres de l’Eglise et les vexations des Puissants, il réglait leurs comptes à toutes les coteries qui lui avaient chèrement fait payer jadis son indépendance : Précieuses, mondains, dévots et académiciens qui critiquaient systématiquement ses nouvelles tragédies.

3) Etre avec Molière, c’était rester proche des comédiennes de sa troupe pour qui, durant la seconde partie de sa vie, battit son cœur : Marquise du Parc, la jeune Armande Béjart pour laquelle il éprouvait une « tendresse extrême » (dixit Robinet), Mlle Des Œillets, Mlle Marotte…

 4) Enfin, aspect essentiel qui explique la longévité de l’association : dès que Molière fit fortune et dirigea le Palais-Royal, il créa ou joua dix pièces des frères Corneille. L’auteur du Cid perçut d’importantes sommes d’argent (2 000 livres) pour la création de chaque tragédie signée de son nom (qui échouait), mais beaucoup plus pour chaque comédie présentée sous le nom de Molière (qui triomphait). Ainsi, Corneille, qui ne touchait sa pension royale que de façon aléatoire, put vivre et établir ses nombreux enfants sans quémander aux Grands.

      LES ETAPES-CLES DE LEUR ASSOCIATION

1643, c’est l’époque du Menteur, prototype des comédies que signera un jour Molière. Lors du séjour (de six mois) de la troupe de Madeleine Béjart à Rouen, où demeure Corneille, Jean-Baptiste Poquelin reçoit de Corneille son nom de théâtre : « Moliere » (toujours orthographié par Poquelin sans accent). De l’ancien verbe molierer, légitimer.

De 1644 à 1658, Molière n’est le Légitimé de Corneille que de façon honorifique. Mais en 1659, lors de son second long séjour à Rouen, il s’associe concrètement avec Corneille. Ce dernier se sait passé de mode. Pour des raisons d’argent, car il ne touche plus de pensions depuis longtemps, et parce qu’il ne supporte pas l’idée de n’être plus « le grand Corneille », il souhaite que Molière soit son porte-parole. Celui-ci, persuadé de devenir, grâce au soutien de l’illustre Corneille, le plus célèbre des comédiens de Paris, accepte de jouer la Comédie de mœurs telle que Corneille l’exige : de manière intimiste et naturelle.

 Introduit auprès de la Reine-mère et du duc de Guise par l’entremise de Corneille, Molière débute à Paris avec Nicomède et plusieurs autres tragédies de son associé et mentor. En 1661, le comédien favori du Roi devient directeur du Palais-Royal. Dans ce théâtre seront jouées ou créées dix tragédies de Pierre Corneille et de son frère Thomas.

Hélas, le Comédien est trop médiocre dans la tragédie pour demeurer le porte-parole du poète. Avec Les Précieuses ridicules, le grand succès de la saison 1659-1660, et Les Fâcheux (1661), Molière devient le prête-nom de Corneille.

Leur présence auprès de Molière s’avérant indispensable, les frères Corneille quittent définitivement Rouen pour s’installer à Paris, à quelques mètres du Palais-Royal. Commence alors, avec L’Ecole des Femmes, la stratégie commerciale de la fausse « Querelle » entre les deux plus grands théâtres parisiens dont les directeurs sont Floridor et Molière, les deux amis de Pierre Corneille.

 Grâce à Molière, que soutient Louis XIV, une nouvelle carrière s’ouvre pour l’auteur du Cid : celle de satiriste (Tartuffe, Le Misanthrope, L’Avare…). Il peut, sans crainte les attaques, fustiger les mœurs hypocrites d’un siècle dénué de grandeur, et retrouver la verve et la spontanéité de ses débuts.

Les rapports entre Corneille et Molière s’équilibrent ainsi : en échange des comédies satiriques qui lui apportent célébrité et fortune, le Comédien offre à son mentor l’indépendance financière et lui permet de conserver une dignité toujours menacée. Ils seront tellement liés qu’après la mort de Molière, Corneille étendra son amitié à sa jeune veuve Armande et à son élève favori Baron.  

                                                                 

 SECRETS  DE  FABRICATION

Le Comédien, formé à l’école de la Commedia dell’arte, « farcira » toutes les pièces que Corneille lui remettra : soit que Corneille les ait composées à partir de scènes françaises, italiennes ou espagnoles [Les Précieuses ridicules (1659), Les Fâcheux (1661), L’Etourdi (1662), Dom Juan (1665), Mélicerte(1666)], soit que Corneille les écrivît personnellement [L’Ecole des Femmes (1662), Le Misanthrope (1666), Tartuffe (1667), Amphitryon (1668), Les Femmes savantes (1672).]

Seules échapperont à la « farce  » moliéresque la comédie héroïque Dom Garcie de Navarre, créée pour l’inauguration du Palais-Royal en 1661 (sans doute élaborée par Corneille à l’époque de son Don Sanche d’Aragon), et la comédie-ballet Psyché (1671). Précisons que Psyché ayant nécessité la participation de Philippe Quinault et de Jean-Baptiste Lully, le nom du quatrième collaborateur, Pierre Corneille, sera aussi cité, au grand dam des moliérâtres qu’hérisse toute idée de collaboration.

Fait unique dans les Lettres françaises, et inexplicable : on ne possède de Molière ni œuvres manuscrites, ni épreuves d’édition, ni correspondance, ni annotations. Ce fait aberrant s’explique avec notre thèse : fils et petit-fils de marchands, Jean-Baptiste Poquelin ne reçut pas de formation scolaire suffisante pour être autre que ce qu’il fut, et si parfaitement : un acteur comique et un farceur, ainsi que le définissaient ses contemporains. Car à cette époque, si tous les comédiens savaient évidemment lire, la majorité ne savait pas écrire. Mais entouré de bons collaborateurs, notamment du poète Claude Chapelle qui lui servait de secrétaire, le Comédien put donner le change et faire de son pseudonyme l’enseigne d’une entreprise de spectacles.

 

POINTS  OBSCURS  DE

LA  CARRIERE  DE  MOLIERE

Notre enquête explique tous les points obscurs de la vie et de la carrière de Molière, notamment :

– comment le Comédien régala de bons repas pendant un trimestre un poète affamé, Dassoucy, afin qu’il versifie L’Etourdi (1654), une comédie qui sera son premier succès ;

– pourquoi Molière est arrivé à Paris « secrètement » comme nous l’apprend son compagnon La Grange ;

– comment il lui fut possible, à lui qui était un inconnu, de présenter des tragédies devant le Roi, la Reine-mère et toute la Cour ;

– comment, et par qui, furent organisés le lancement, puis le scandale des Précieuses ridicules ;

– pourquoi les frères Corneille  ont définitivement quitté Rouen pour Paris en octobre 1642 (alors que Pierre Corneille avait refusé de quitter sa ville natale lors de deux vaines tentatives pour entrer à l’Académie française) ;

  comment, et par qui, fut planifiée une fausse querelle  autour de L’Ecole des Femmes aux bénéfices de Floridor (comédien fétiche de Corneille) et de Molière  ;

– pourquoi La Critique de l’Ecole des Femmes défend les thèses de Pierre Corneille en matière d’art dramatique ;

– pourquoi L’Impromptu de Versailles malmène l’abbé d’Aubignac (qui n’était pas l’adversaire de Molière mais celui de Corneille) ;

– comment la comédie Les Plaideurs du jeune Jean Racine devait à l’origine être signée « Molière » ;

– comment la Lettre sur le Misanthrope, qui défend cette comédie, est seulement signée de l’initiale « C ».

– pourquoi le Comédien, au grand étonnement de son premier biographe Grimarest, a toujours refusé de dévoiler, même à ses intimes, l’origine de son pseudonyme ;

– pourquoi l’éditeur du Dépit amoureux (signé Molière) en offrit un exemplaire à un haut magistrat en lui précisant que cette comédie est de « l’Auteur le plus approuvé de ce siècle », formule qui, alors que Molière débute sa carrière, ne peut s’appliquer qu’à Pierre Corneille ;

– pourquoi le Roi offrit une pension à Molière au titre de comédien, et non à celui d’auteur ;

– pourquoi, en plein scandale du Tartuffe, les autorités annulèrent les lettres de noblesse des frères Corneille ;

– pourquoi on retrouve dans le théâtre de Molière des dizaines de vers de Pierre Corneille  qui a toujours aimé se citer. 

– pourquoi Molière joua Sertorius de Corneille avant que n’expire le droit légal de représentation de cette tragédie, et ne cessa jamais de la représenter ;

– pourquoi l’Académie française n’a jamais envisagé d’accueillir Molière puisque seuls des écrivains sont admis à siéger ;

– pourquoi Boileau, d’abord son ami, finit par ne plus dire que du mal de Molière ;

– pourquoi Molière n’a relu aucune des pièces qu’il a publiées, les laissant remplies de fautes et de contresens ;

– pourquoi Molière ne possédait dans sa bibliothèque, au moment de sa mort, que 350 ouvrages, la plupart offerts par ses relations ou par l’éditeur de Pierre Corneille ;

– pourquoi c’est Thomas Corneille qui fut chargé par la veuve de Molière de versifier Dom  Juan ;

– pourquoi Pierre Corneille, devenu l’ami de Baron, le jeune disciple de Molière, l’aida à publier, comme son maître, des pièces sous son nom.

Etc, etc.

LE  MYTHE  « MOLIERE »

Découvrir qui est vraiment Molière c’est pénétrer dans les coulisses du Palais-Royal où s’agitent des arrivistes tels Edmé Boursault, Jean Donneau de Visé, Adrien Subligny ou Jean Racine. Recensant les constatations de dizaines de spécialistes, cette enquête démontre qu’avec Molière et ses collaborateurs, le pillage systématique des répertoires italien, espagnol et français fut institué en principe de création. La pratique exclusive du « raccommodage » de scènes disparates fait de Molière le précurseur de Dumas père et celui de Willy dont le Corneille, si l’on peut dire, se nommait Colette.

Par une ironie du sort dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences, la Révolution de 1789 a fait de Molière « l’écrivain du Peuple ». Ainsi campé, ce personnage romantique est une fiction ou, pour le moins, une imposture. Au XIXe siècle, la Sorbonne fit de Molière l’incarnation de l’Esprit national. Dès lors, l’abîme entre la réalité et le mythe a pris de telles proportions qu’il en est devenu vertigineux. Ce qui explique pourquoi, lorsque Pierre Louÿs dévoila en 1919 l’affaire Molière/Corneille, la réaction des moliéristes fut si excessive et si peu scientifique.

Bien que la légende de Molière, « auteur génial », s’amenuise toujours davantage grâce aux chercheurs indépendants et à la dernière génération d’universitaires (plus audacieuse), le Dogme demeure inébranlable. Le grand public croit sur parole la Sorbonne, sans autre preuve qu’un consensus corporatiste dont on sait, par l’expérience des siècles passés, à combien de contre-vérités il a conduit.

Mais ce parti pris, transformé en culte, finira lui aussi par céder.

Il faut lire cet ouvrage pour quitter, définitivement, les bancs de l’école.

 

 

Post-scriptum

En Annexes de cet essai, nous présentons :

· l’Eloge de Pierre Corneille par Jean Racine,

· les trois articles de Pierre Louÿs ainsi que divers extraits de ses notes et lettres.

· Trois Chronologies (les œuvres de Corneille, les pièces signées Molière, et une « chronologie des œuvres officielles et officieuses de Pierre Corneille ») qui permettent de mieux comprendre les liens étroits qui unissent les deux artistes.

Une importante bibliographie attend le lecteur qui veut poursuivre sa propre enquête.

 

PRIERE D’INSERER

Pierre Corneille, qui a composé avec Le Cid, la plus belle pièce du répertoire français, est aussi le créateur de la comédie de mœurs : le Menteur est le prototype des pièces que signera Molière vingt années plus tard. Jamais en repos, Corneille inventera la tragédie réaliste, expérimentera le vers libre et, avec Rodogune, le drame passionnel.

 Il propulsa la carrière des deux plus célèbres comédiens de son temps : Jodelet « l’enfariné » et Floridor « le tragique ». Grâce à lui, le Conseil d’Etat protégea les comédiens de l’opprobre populaire.

Jalousé, attaqué, Corneille quitta par trois fois les scènes parisiennes. Durant ses longues retraites, il aida les débuts de son jeune frère Thomas, dont les pièces seront les plus jouées de l’époque.

Puis Pierre Corneille passe de mode. Ses nouvelles tragédies sont critiquées.  A cause de « sa gloire à nulle autre pareille », il ne peut plus écrire de comédies, car la comédie n’est pas un genre noble. Est-ce la fin pour lui ? Non, le destin lui offre la possibilité de relancer sa carrière en la personne d’un jeune homme ambitieux, Jean-Baptiste Poquelin, qui veut créer le troisième théâtre de Paris. Il incarne la liberté d’entreprendre que lui, « le grand Corneille », n’a plus… Par deux fois, durant l’été 1643 et l’été 1658, le poète perfectionnera le jeu de son admirateur et lui trouvera son pseudonyme  « Moliere » (toujours orthographié par Poquelin sans accent). De l’ancien verbe molierer, « légitimer ».

Poquelin vient de signer un pacte secret avec le plus grand dramaturge de son siècle. Pour ne pas trahir son mentor, il ne révélera jamais, même à ses proches, l’origine de son pseudonyme. (Remarquons qu’il créera et jouera dans son théâtre du Palais-Royal une dizaine de pièces des frères Corneille.)

 Pendant plus de vingt années, derrière le masque du « premier farceur de France », Corneille va dénoncer les marquis ridicules, les Précieuses, les dévots trop mondains, l’étouffante hypocrisie ambiante. Tous ceux dont il avait souffert. Signe des temps, Louis XIV soutient le Comédien. Et c’est ainsi que Molière le richissime va sauver Corneille le nécessiteux.

Le destin aidant, le porte-parole laissera place au prête-nom qui, infatigablement, représentera toute l’humanité, de Tartuffe à Dom Juan, du Misanthrope à L’Avare, que Corneille portait en lui.

Bien que le mythe de Molière « auteur génial » s’amenuise toujours plus grâce à des chercheurs indépendants, les moliéristes continuent de lui vouer un culte. Le grand public les croit sur parole, sans autre preuve qu’un consensus universitaire dont on sait, par l’expérience des siècles passés, à combien de contre-vérités il a conduit.

Mais ce parti pris, transformé en dogme, finira lui aussi par céder.

Il faut lire cet ouvrage pour quitter définitivement les bancs de l’école.