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Parlons à nouveau de l’Asie

 Il y a quelques semaines j’écrivais que le temps était venu de revenir sur la bourse de Paris qui était dans une situation du style « Pile je gagne, face je ne perds pas », ce qui est toujours confortable.  En effet, ou bien Emmanuel Macron gagnait et la bourse allait monter « de façon Pavlovienne», ou bien il perdait, et avoir des actions en France était la seule chose qu’il fallait faire.

Six semaines plus tard, l’indice est en hausse d’environ 7 %, ce qui est bien. Pour ceux qui auraient suivi mes conseils, il me semble que le moment est venu de vendre ce qu’ils pourraient avoir en France, car l’élection de monsieur Macron m’inspire de vives inquiétudes.

Einstein avait coutume de dire que « faire la même chose temps après temps et attendre un résultat différent à chaque fois est la définition même de la folie ». Or les Français viennent d’élire un homme qui a pour ambition de faire encore plus de ce qui n’a pas marché depuis trente ans, ce qui me laisse perplexe.

Dieu sait que je ne suis pas un « trader » à court terme et que d’habitude je garde mes positions pendant des mois, voir pendant des années. Mais pour une fois, je vais changer mes recommandations récentes, pour ceux qui le peuvent.

Si vous êtes coincés en France et que vous ne pouvez pas vous en aller pour des raisons réglementaires, juridiques ou fiscales, il reste vrai que vous ne devriez avoir que des actions des belles sociétés françaises qui n’ont rien à voir avec notre état prédateur, du style Air Liquide, l’Oréal, LVMH, Schneider, Imerys, SCOR etc. (Il ne s’agit pas là de recommandations d’achat, mais d’exemples)

Il vous faut vendre bien entendu tout ce qui est adossé à l’Etat et en premier les obligations émises par ce dernier.

Mais, si vous pouvez disposer de votre capital librement, à mon avis, il faut le sortir de France puisqu’à l’évidence nous allons simplement continuer à faire ce que nous faisons depuis des décennies et que cela ne va pas plus marcher dans les années qui viennent que cela n’a marché dans les années précédentes..

Pour aller où ? Va me demander le lecteur.

La réponse est simple : en Asie, et voici pourquoi.

Pendant toute ma carrière, qui a commencé en 1971, les économies asiatiques ont été totalement dépendantes du dollar américain et pour deux raisons très simples.

  1. Le commerce inter-asiatique était soldé en dollars. Si la Corée du Sud avait un déficit avec la Chine ou avec Taiwan, le solde devait être réglé en dollars. Ce qui forçait ces pays à conserver leurs réserves de change dans la monnaie US.
  2. Il n’existait pas de marchés de la dette domestique en monnaie locales. Si un pays ou une grande société avaient besoin de faire des investissements d’infrastructure par exemple, s’ils devaient donc emprunter et donc émettre des obligations libellées en dollar US.

Ce qui faisait que si le dollar venait à manquer comme pendant la grande crise de 2008-2009, le commerce entre les pays asiatiques s’écroulait, tout simplement par manque de numéraire.

Et si le dollar se mettait à monter pour quelque raison que ce soit, tous ceux qui avaient emprunté en dollars voyaient le coût de leur dette monter dans des proportions extravagantes et étaient de ce fait acculés à la faillite.

Jouer l’Asie était donc simple. Si le dollar montait, il ne fallait pas y être, et si le dollar baissait, il fallait s’en bourrer, un jeu éminemment dangereux et cyclique.

Tout cela est en train de se terminer, tout simplement parce que la Chine a décidé de changer les règles dominantes. Depuis 2010, la banque centrale chinoise (BOC) a pris les choses en main et voici ce qu’elle a fait :

D’abord, elle a été voir toutes les autres banques centrales, non seulement en Asie mais aussi en Russie, en Afrique ou en Amérique Latine en leur disant qu’à partir de maintenant, tous ces pays pourraient acheter tout ce qu’ils veulent en monnaie chinoise, le yuan. Et les autres de répondre que c’était une bonne idée, mais que des yuans, ils n’en avaient point.

Qu’à cela ne tienne dit la Chine, je vous les prête…

Qui plus est, ajoutèrent les autorités, si vous avez un déficit du commerce extérieur parce que vous croissez très vite, je financerai votre déficit en vous prêtant de l’argent et j’irai même jusqu’à accepter des paiements dans votre monnaie locale.

Et du coup, alors même qu’en 2009, toutes les importations et les exportations chinoises étaient soldées en dollar, aujourd’hui près de 40 % le sont en yuans.

Pour que vous ayez votre mot à dire rajoutèrent les autorités de l’Empire du Milieu, nous allons créer ensemble une espèce de FMI local pour traiter les problèmes structurels que certains pays pourraient avoir et aussi une nouvelle banque mondiale qui aura pour objectif d’offrir de l’épargne a long terme à ceux qui en auraient besoin. Et vous aurez des sièges aux conseils d’administration de ces deux entités puisque si vous le voulez, vous serez aussi actionnaires.

Ainsi, nous aurons une structure commune où nous pourrons discuter de vos besoins financiers à long terme tranquillement et en dehors de la pression des marchés financiers qui ont tendance à ne s’intéresser qu’au court terme.

Pour ceux qui ont une bonne connaissance historique des structures financières, c’est exactement ce que les Etats-Unis avaient proposé à l’Europe au moment du plan Marshall, en fondant le FMI et la Banque Mondiale et en garantissant que les déficits extérieurs seraient financés par les USA, à condition que le pays récipiendaire ne se laisse pas aller au protectionnisme.

Comme chacun le sait, l’effet sur les économies européennes fut foudroyant, mais la plupart des gens n’ont jamais très bien compris pourquoi, alors que la raison fondamentale en était fort simple.

Les marchés obligataires en monnaies locales, en France, Italie, Allemagne etc., incorporaient des primes de risque gigantesques puisque les Français ou les Italiens pouvaient voter communistes et que les chars Russes pouvaient rentrer à  Berlin à tout moment.

Ainsi, les taux en Allemagne étaient à 6 %, alors que les taux longs aux USA étaient à 2 %

Mais la garantie américaine implicite donnée sur les monnaies locales permit aux taux longs de se détendre partout en Europe pour converger lentement mais surement vers les taux US, la parité étant atteinte vers 1965 soit une décennie après. Et cette baisse des taux permit la croissance partout en Europe.

La même chose va se passer en Asie, et pour les mêmes raisons.

Les taux longs vont converger vers les taux chinois, partout en Asie.  Et du coup, les paniques cycliques qui forçaient tout le monde à suivre des politiques restrictives ne vont plus avoir lieu. Et la croissance en Asie va s’accélérer.

Aujourd’hui le 10 ans Chinois offre un rendement de 3. 6%,  tandis que le 10 ans Indien est à 7. 3%, le 10 ans Indonésien à 7. 8 %et le 10 ans Russe  à 8 %. Dans cinq, 10 ans, dans dix ans tout au plus, ils seront tous au même niveau.

Ce que cela veut dire en termes d’investissement est simple : la partie obligataire des portefeuilles des lecteurs doit être investie en fonds obligataires spécialisés sur la dette asiatique, et il en existe de nombreux, gérés par les grandes maisons de gestion.

En ce qui concerne les actions, toute baisse des taux longs déclenche une hausse disproportionnée des « valeurs de croissance ». Il faut donc avoir dans son portefeuille « actions » des valeurs de croissance soit asiatiques, soit vendant en majorité en Asie, car ce sont celles qui vont monter le plus dans les années qui viennent.

Avoir son épargne en Asie me semble non seulement infiniment moins dangereux que de l’avoir en France, mais aussi devrait être beaucoup plus rentable sur le moyen et long terme.