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La société de demain

Par Philippe Fabry

Dans Star trek, série créée au plus fort de la Guerre froide, Gene Roddenberry a imaginé une société ayant dépassé le socialisme et le capitalisme. Cette nouvelle société était une société d’abondance sans argent, sorte d’utopie rendue possible par un progrès technologique pas vraiment expliqué.

Evidemment, une telle évolution ne me paraît pas probable, mais une réalité partielle de ce genre pourrait voir le jour dans le siècle à venir, avec des conséquences à long terme bien plus néfastes que ce qui était naïvement envisagé dans cette fort sympathique série.

Dans un billet publié il y a quelques mois, j’évoquais les dangers liés à la transition vers l’ère des robots  (billet que j’ai partiellement repris dans mon nouveau livre). J’envisageais bien sûr une solution libérale aux dangers de cette transition, mais je ne crois pas à sa mise en place : il y a trop de forces contraires, trop de parasites politiques et d’appétits pour le pouvoir et la redistribution pour qu’il soit donné une chance à cette voie de la raison. C’est donc l’autre voie qui sera empruntée, celle de la redistribution planificatrice.

Je résume la manière dont j’envisage l’évolution : dans les trente prochaines années, 50% des métiers humains actuels seront remplacés par des machines. Depuis le début de la Révolution industrielle, il avait fallu 200 ans pour que la mécanisation atteigne une telle proportion de l’activité humaine. Le même bouleversement aura donc lieu dans un laps de temps presque sept fois inférieur. A une telle vitesse, le processus de destruction créatrice ne pourra pas porter ses fruits suffisamment rapidement pour neutraliser le mécontentement social. Il y aura donc un appétit politique fort pour un nouveau « modèle social », redistribuant la richesse issue de la robotisation auprès de ceux s’estimant économiquement et socialement « victimes » de cette évolution.

Voici de quelle société cela accouchera.

Panem… : L’adoption du revenu de base universel

Le revenu de base universel  n’a plus guère besoin d’être présenté. L’idée a de plus en plus le vent en poupe, y compris chez de grands groupes financiers, y compris chez des libéraux. Le caractère consensuel d’une telle mesure rend son adoption pratiquement assurée comme remède tout trouvé aux « ravages » qui seront reprochés à la révolution robotique.

L’adoption de cette mesure « sociale » aura pour conséquence de transformer les populations des pays développés en masses largement assistées : vraisemblablement 60 à 80% de ces populations n’auront plus d’activité rémunératrice et vivront uniquement de cette allocation financée, on l’imagine, par des taxations spéciales sur les revenus tirés des nouvelles machines « destructrices d’emplois ».

Elle sera suffisante pour assurer à ces populations une vie relativement confortable de pur assistanat, oisive, notamment grâce à la baisse de coût qui touchera une grande partie de la production grâce à la baisse du coût de l’énergie, autorisée notamment par la maîtrise de la fusion .

Et circenses… : l’explosion de l’industrie du divertissement

Si des algorithmes peuvent bien être imaginés pour produire des trames narratives assurant le succès, il ne me paraît pas que les machines pourront tout de suite prendre la place de la créativité et de la sensibilité humaines pour créer du divertissement. Elles seront sans doute un support extraordinaire, libérant cette créativité, multipliant ses moyens, mais sans la remplacer.

Par ailleurs, le fait que les gens n’aient presque plus à travailler créera une demande pour le divertissement. L’offre apparaîtra et créera de nombreux emplois dans le monde du spectacle, peut-être plus que jamais, des hommes vivront de leur capacité à divertir leurs semblables. La facilité de création et la baisse des coûts permettra de multiplier les productions à la fois à petit budget et grand spectacle. Les coûts seront vraisemblablement si bas que même le piratage disparaîtra. Les applications fournissant des vidéos à la demande, les sites de séries en streaming gagneront une clientèle assurée et permanente de gens qui auront besoin d’occuper leur quotidien oisif.

Des spectacle « réels » apparaîtront aussi, comme les combats de robots imaginés dans le film Real Steel  . D’ores et déjà, USA et Japon s’apprêtent à s’affronter dans un combat de robots géants. Et ces combats ne se limiteront pas à des duels, l’on verra peut-être de véritables batailles de robots géants, dans des arènes.4928509_robots_545x460_autocrop

Ô tempora, ô mores…

Au plan des moeurs, les choses seront probablement fortement touchées.

Des substituts de sexualités dépasseront la pornographie vidéo pour offrir des service physiques avec des prostituées-robots, croisant la technologie robotique avec le curieux (et un peu effrayant) savoir-faire japonais en matière de poupées à usage sexuel.

Par ailleurs, l’absence de travail, donc de carrière et, derrière tout cela, de mise en perspective de l’existence et de considération de la vie comme un projet à accomplir, fera de la plupart des individus des jouisseurs, comme des bébés têtant et jouant, sans jamais élaborer de projets autres que dans leur recherche de nouveaux divertissements. La fondation d’une famille est liée à l’avancée dans la vie, à des schémas ancrés dans la société : enfance, étude, travail, couple… cette suite logique, ce schéma structurant sera vraisemblablement affecté chez des populations dont l’horizon, de la naissance à la mort, sera essentiellement le divertissement (évidemment, certains utiliseront ces opportunités pour vouer leur existence à la connaissance, à la science, à la recherche… mais honnêtement, quelle est la proportion de la population à se tourner spontanément, sur son temps de loisir, vers ces objets ?).

Comme une grande partie des pulsions sexuelles pourront être évacuées, avec moins d’efforts et d’investissement émotionnels, auprès de la prostitution robotique, laquelle ne choquera personne puisqu’elle ne dégradera pas d’êtres humains, la part de la fécondité due aux « accidents » sera considérablement réduite, au moins autant que celle due au projet de faire un enfant.

Tout ceci conduira évidemment à une chute énorme de la natalité, plus importante encore que ce que l’on a pu observer en Allemagne et au Japon durant les dernières décennies, et à un effondrement démographique des pays développés, qui pourraient perdre en un siècle entre un tiers et la moitié de leur population.

Cette évolution aura des conséquences économiques graves, qui après quelques décennies entraîneront des troubles sociaux et politiques, lesquels accoucheront de la société d’après demain.