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Derrière l’Ukraine, l’affrontement de deux mondes, par Jean Goychman   

Prenons un peu de champ et éloignons-nous des médias qui se nourrissent de l’instant et sur les plateaux desquels se produisent ne nombreux experts ou spécialistes, souvent auto-proclamés, dont le discours se résume souvent à encenser les Ukrainiens et dénigrer la Russie.Cette communication de degré zéro passe à côté de ce qui est essentiel. Existe-t-il une volonté occulte qui souhaiterait égarer l’opinion publique et lui cacher la réalité ?

Depuis 1991, le monde est dominé par la puissance américaine. Celle-ci est l’héritière de la puissance britannique qui avait régné sur la planète durant la « pax britannica », et avant elle d’autres puissances européennes l’avaient précédée. Toutes avaient en commun une chose : elles étaient des puissances maritimes.

Ce simple constat est fondamental pour qui veut comprendre les mécanismes mis en jeu et le rapport des forces qui s’exercent aujourd’hui.

La vision prophétique de Walter Raleigh

Grâce à son expérience de navigateur, Walter Raleigh est un des premiers à souligner l’importance géopolitique et économique de la maîtrise des mers pour un pays :

« Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même »

Cette citation, qui date du XVIe siècle, résume à elle seule l’importance de la puissance maritime pour dominer le monde. Cependant, les sciences et les techniques ont évolué et cette évolution n’a pas épargné les moyens de transport terrestres. Pour maintenir leur domination sur le commerce mondial, les puissances maritimes devaient s’emparer de tous les ports et surtout empêcher le développement des routes commerciales à l’intérieur des continents, et notamment en Europe, qui était le centre économique du monde depuis le XVIe siècle.

Au début du XXe siècle, la vision de Raleigh a été théorisée par Halfort John Mac Kinder.

Père reconnu de la géopolitique, il a isolé le « grand continent » (Europe-Asie-Afrique) du reste du monde en faisant remarquer que ce bloc continental représentait à lui seul 2/3 des terres immergées.

Pour bloquer son développement commercial face aux puissances maritimes, il fallait séparer politiquement ce bloc.

En particulier, il était vital pour l’Angleterre de séparer l’Europe de l’Ouest de la Russie. Toute la politique britannique envers l’Europe est basée depuis Bismark sur ce dogme.

Revenons à la guerre en Ukraine

Vous remarquerez que, comme par hasard, l’Ukraine se situe pile à l’endroit de cette frontière étanche. Mackinder avait souhaité dès 1924 la création d’une « communauté Atlantique ».

Ceci fut réalisé en 1949 avec la création de l’OTAN. En réalité, l’OTAN a même été créée uniquement pour isoler l’Ouest de l’Europe de la Russie. En regardant au travers de ce prisme toute l’histoire de l’Europe depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours, tout s’explique.

Si, de plus, on superpose le projet du monde globalisé (monopolaire) mené par cette élite financiaro-industrielle qui dirige les Etats-Unis et l’Occident depuis des décennies, on s’aperçoit que l’ensemble du projet repose sur la puissance maritime des Etats-Unis.

Cependant, un autre projet, celui d’un monde « multipolaire » organisé autour des continents et en particulier du bloc continental que Mackinder appelait « l’île du monde » est en train de se développer et commence à menacer les propres fondements du projet « monopolaire ». Son développement se fait par l’agrégat successif des BRICS (devenues aujourd’hui BRICS+) et il semble incompatible à moyen terme avec le projet mondialiste.

Nous avons là une des causes profondes de cette guerre en Ukraine qui va, de facto, bien au-delà d’une simple contestation de frontières.

Pourquoi, au vu de l’Occident, la Russie de peut pas gagner ?

Si la Russie gagne cette guerre, c’est que l’OTAN l’aura perdue. Cela signifie que plus rien n’empêchera, à terme, la réunification de l’Europe qui retrouvera son véritable statut de continent sur le plan économique, concrétisant ainsi la vision de de Gaulle et de son « Europe de l’Atlantique à l’Oural » qui a toujours effrayé les puissances maritimes et surtout les États-Unis.

Ce qui revient à dire que la victoire de la Russie sera surtout celle du monde multipolaire sur le monde monopolaire. Et cela, Emmanuel Macron, qui est avant tout un mondialiste, ne peut l’envisager. Il fait probablement partie de ces jeunes dirigeants formés, dès la fin de leurs études, par un programme savamment mis au point par le Département d’État américain.

Voici ce que relate Eric Branca dans « l’ami américain » citant les propos de Karen Hugues, secrétaire d’État adjointe de GW Bush le 1er octobre 2007 à Budapest :

« plus de 130 leaders mondiaux ont participé à notre programme, y compris le nouveau Premier ministre britannique (Gordon Brown), le nouveau président de la France (Nicolas Sarkozy) et le nouveau président de la Turquie (Abdullah Gül). Avant d’ajouter, candide ou désireuse d’attirer les candidats hongrois ; Presque chaque participant a dit après coup: ça a changé ma vie »

Eric Branca dans « l’ami américain » (p 449 éditions PERRIN)

Emmanuel Macron n’est pas cité, (nous sommes en 2009) mais son parcours, depuis son accession en tant que « young leader » (2012) puis son passage au Bilderberg (2014) le désigne avec une forte probabilité comme faisant partie de ces heureux élus ultérieurs.

Si on examine son intervention télévisée du 14 mars sous cet angle, ses propos sont limpides. La Russie ne doit en aucun cas pouvoir s’étendre au-delà de sa frontière avec l’Ukraine car plus rien ne l’empêcherait d’aller vers l’Ouest, ce qui signifierait la fin de la raison d’être de l’OTAN. Il présente cela comme une conquête militaire d’un impérialisme débridé parce que cela justifie en apparence son propos, mais ne correspond pas à la réalité. Il met également à profit ce climat de peur entretenu savamment pour se positionner en leader « naturel » de l’Union européenne. Cela a-t-il encore un sens ?

Un des résultats évident de la politique américaine en Europe a été de repousser la Russie vers l’Asie. Est-ce, à terme, l’intérêt de la Russie ?

L’avènement du monde multipolaire semble inexorable.

Les énormes investissements faits par la Chine pour développer les infrastructures continentales montrent que les flux commerciaux vont progressivement délaisser le transport maritime partout où cela sera possible. Or, ce transport maritime, jusqu’alors indissociable du dollar, instrument de la puissance américaine et protégé par la puissance militaire américaine, va décroître à mesure.

Ajoutons à cela la réélection possible de Donald Trump,très opposé à l’État profond et partisan d’un monde multipolaire (souvenez-vous du « les mondialistes n’ont plus d’avenir ![ONU 2018] »)en novembre, et le tableau n’est pas idyllique pour les partisans de l’établissement d’un gouvernement mondial.

Cette profonde redistribution des cartes de la géopolitique mondiale va remettre en question cet ordre mondial des puissances maritimes dominantes établi depuis la fin du XVe siècle au profit d’un monde organisé autour des continents et dans lequel pourront s’exercer les souverainetés nationales. Hommage devra être rendu à Maurice Allais qui, le premier, a envisagé cette profonde mutation, dont le Général lui-même s’est profondément inspiré.