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Annuler la dette de la France : que voilà une idée stupide !

le 13 juillet 2020

L’ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l’histoire  (Raymond Aron).

De temps en temps, je dois avouer que j’ai de grands moments de lassitude. Notre pays est dans une situation catastrophique parce qu’il a été géré depuis des lustres par des cuistres incompétents, et le résultat de cette gestion est bien entendu une dette abyssale.

Bien.

Devant une telle situation, un citoyen normal se poserait les questions suivantes :

  1. Comment en sommes-nous arrivés là ? ce qui revient à établir un diagnostic.
  2. Est-ce que l’histoire économique offre des exemples comparables ? ce qui nous permettrait d’affiner nos efforts pour trouver des solutions.
  3. Parmi ces exemples, quels ont été les solutions choisies pour redresser la barre avant que le bateau ne se fracasse sur les écueils, et lesquelles ont marché, lesquelles ont échoué ? ce qui nous permettrait de régler le problème comme l’ont fait par le passé la Suède, le Canada, la Grande-Bretagne et bien d’autres avant ou après eux.

Et au lieu de cela, nous assistons à une débauche de propositions, plus idiotes les unes que les autres pour régler techniquement le problème, et dont la pire est sans doute que nous devrions annuler la dette qui n’est que le résultat des politiques insensées que nous menons depuis des décennies.

Car annuler la dette sans changer de politique reviendrait à casser le thermomètre sans s’attaquer aux causes profondes de la fièvre, ce qui bien sur serait voué à l’échec.

Annuler la dette serait en fait une erreur monstrueuse et je vais en énumérer les conséquences ici.

  • Commençons par une évidence : le passif de l’Etat, la dette, constitue une bonne partie de l’actifdes citoyens. Prenons l’assurance vie dans laquelle les français ont investi 1700 milliards d’euros dans des obligations de l’état français. Ces épargnants, souvent âgés et aux revenus modestes, ont déjà été spoliés du revenu qu’ils étaient en droit d’attendre puisque les taux d’intérêts sont à zéro %, voire négatifs. Faire disparaître leur capital reviendrait à faire plonger immédiatement et de façon catastrophique leur niveau de vie, ce qui augmenterait de façon gigantesque le déficit de l’état, et donc la dette, puisqu’il faudrait les subventionner. Et cette réalité s’applique aux fonds de retraite existants (Agirc-Arco etc…), dont les réserves disparaîtraient, ce qui forcerait l’état à se substituer à eux, ce qui ferait exploser encore plus et le déficit et la dette.
  • Continuons avec les sociétés financières, banques, assurances etc… que la réglementation a forcé à utiliser comme « réserves »en cas de coup dur ces mêmes obligations d’état. Toutes ces sociétés se retrouveraient en faillite immédiate, et du coup, plus personne ne serait ni assuré contre quoi que ce soit, ni ne disposerait d’un compte bancaire, ce qui amènerait à une hausse immense de l’épargne de précaution et donc à une récession gigantesque, qui ferait exploser une fois encore le déficit de l’état -et donc la dette- par écroulement des recettes fiscales. En passant, il faudrait aussi nationaliser toutes ces sociétés et chacun a vu le succès des nationalisations en 1981.
  • Venons-en à la situation extérieure de la France qui a souffert d’un déficit de son commerce extérieur (comptes courants) d’environ 1. 5 % par depuis des années. Ce déficit a été bien sûr couvert par une épargne non-française (fonds de pension hollandais, américains ou anglais, fonds souverain du Qatar, banques centrales asiatiques) qui du coup se retrouvent détenant une bonne partie de la dette française (40 % ?).  Non seulement ils prendraient une énorme claque, ce qui ferait baisser leurs niveaux de vie et donc les exportations françaises, mais en plus ils cesseraient immédiatement d’acheter nos obligations, ce qui nous forcerait à passer instantanément en comptes courants excédentaires, ce qui se produirait au travers d’une considérable récession entraînant un effondrement de nos importations et donc de notre niveau de vie.
  • Signalons enfin que nous serons certainement forcés de payer les importations restantes soit en dollar, soit en DM, soit en or, plus personne ne nous faisant crédit et que nos réserves n’y suffiraient pas, ce qui nous forcerait à revenir au contrôle des changes. Plus de vacances en Espagne, en Thaïlande ou au Maroc, plus d’études à l’étranger, les vacances dans la Creuse redeviendront à la mode.

Et je pourrai continuer mais je tiens à assurer le lecteur que cette solution a été choisie dans l’histoire par de nombreux pays tels l’Argentine, le Venezuela, le Brésil, le Mexique, le Zaïre, la Corée du Nord, l’URSS, l’Allemagne Nazie etc…, et qu’elle se termine toujours avec des crétins galonnés prenant le pouvoir et se lançant immédiatement dans des grands travaux chers à l’Etat Stratège (l’oxymore total) du type camp de rééducation entouré de miradors. Adieu au Club Med, bienvenu au Goulag…

J’espère mieux pour mon pays et plutôt que de se livrer à l’imbécillité d’une annulation de la dette, mieux vaut suivre la voie de l’expérience et de la raison, ce qui suppose de commencer par le bon diagnostic.

Je l’ai posé il y a près de vingt ans dans mon premier livre, « Des Lions menés par des Ânes » (que vous pouvez acheter sur le site de l’IDL, le produit de la vente allant à l’IDL) et je n’en changerai pas une ligne, tout se passant en effet comme je le craignais en 2002. Pour ceux qui voudraient se rafraîchir la mémoire, ils peuvent aussi décharger le dossier un peu ancien sur l’Euro, disponible sur le site de l’IDL, mais dont la pertinence reste entière.

La cause « première » (comme l’aurait dit Aristote) de bien des désastres financiers est souvent la même : une tentative de fixer le taux de change entre un pays mal géré et un pays bien géré pour forcer ceux qui refusent les réformes dans le pays mal géré à se coucher, c’est à dire transformer les Grecs ou les Italiens en Allemands, et chacun a pu mesurer le succès de cette tentative.

Mais l’Euro avait un second objectif : faire disparaître les monnaies nationales, signe insupportable de souveraineté…

A l’origine de l’Euro, il y a donc une double imbécillité : ceux qui l’ont créé n’ont pas prévu de mécanisme d’ajustement pour compenser les différences de productivité du travail entre pays (ce qui est le cas de tous les systèmes de taux de changes fixes) mais en plus ils ont manifesté une totale incompréhension de la relation symbiotique qui unit chaque nation à sa monnaie.

Supprimer la monnaie nationale, c’est faire disparaître l’outil qui permet à chaque peuple de vivre avec lui-même sans se déchirer. Identité et souveraineté ne peuvent en effet exister sans un instrument qui arbitre « sans douleur » les tensions internes à une Nation et qui s’appelle le taux de change. Le supprimer, et la guerre civile ne tarde guère.

Et donc, l’Euro amène non seulement à une crise économique sans fin, ce qui était parfaitement prévisible, puisque je l’ai fait, mais c’est surtout une erreur politique gigantesque dans la mesure où non seulement il fait renaître les haines ancestrales en Europe, et donc les risques de guerre, mais aussi il enlève le contrôle que chaque peuple doit avoir sur l’entité qui exerce le « monopole de la violence légitime » dans cette nation, c’est-à-dire l’Etat, en annihilant le contrôle que ce peuple exerce sur le prélèvement de l’impôt.

Je m’explique.

Pour assurer son fonctionnement, l’État a besoin de lever des impôts, et depuis Locke nous savons que les trois remparts à la tyrannie de ceux qui ont pris le contrôle de la violence légitime sont 1) la tolérance, la vérité d’Etat n’existe pas 2) le droit de propriété, qui donne la possibilité de résister à l’arbitraire, le propriétaire étant indépendant et chacun devant garder le produit de son travail et 3) le vote des impôts par la population ou ses représentants, la meilleure façon de contrôler un éventuel tyran étant de lui couper les vivres.

La création de l’Euro a attaqué à la base ces trois principes.

La tolérance, puisque existe maintenant un camp du bien et un camp du mal, la propriété puisque l’outil qui sert à mesurer la valeur de cette propriété, c’est-à-dire la monnaie voit ses prix complètement manipulés et enfin les impôts, puisque les emprunts ne sont que des impôts différés et que des taux d’intérêts à zéro permettent de lever des impôts à l’infini, sans en demander la permission au peuple, les taux d’intérêts nationaux n’ayant plus rien à voir avec la capacité d’épargne de chaque nation.

La conclusion est imparable : nous ne sommes donc plus ni en démocratie, ni dans un système de marchés libres. A dire vrai, je ne sais pas très bien dans quoi nous sommes… peut-être la dictature molle qu’avait prévu Tocqueville ?

Venons-en maintenant au dernier point, où je vais couvrir rapidement les enseignements de l’histoire, pour savoir comment se sortir du piège de la dette. Ce n’est certes pas la première fois qu’une nation se retrouve dans cette situation, et la façon de s’en sortir a toujours été la même : il faut revenir à la démocratie et au système de marchés libres. C’est ce que fit la Suède après 1992, moment où la social-démocratie suédoise explosa, entraînant avec elle le système bancaire local.

A l’origine du désastre, toujours la même chose : un gouvernement idéologue suit une politique débile et essaie de se préserver des conséquences de ses actions en fixant son taux de change par rapport à la monnaie d’un pays sérieux. La Suède rejoint donc le serpent monétaire européen et fixe son taux de change par rapport au DM. Et le miracle se produit : la différence des taux longs (10 ans) entre l’Allemagne et la Suède passe de 1988 à 1992 de 500 points de base à 100 points de base. Et du coup, tout le monde en Suède emprunte, l’immobilier passe au travers du toit, le budget devient déficitaire, ainsi que les comptes courants, et la dette étatique passe de 30 % à 70 % du PIB en quatre ans.

Arrive le réveil en 1992, déficits extérieur et budgétaire ayant explosé, les attaques se multiplient sur la monnaie suédoise, la banque centrale fait grimper les taux courts à 50 % pour empêcher la sortie de la Suède du SME, ce qui fout l’immobilier, et donc les banques, au tapis, ainsi que tous les consommateurs qui avaient emprunté comme des fous pour acheter de l’immobilier.

Curieusement en 1992, et absolument par hasard, j’étais dans le bureau du gouverneur de la banque centrale de Suède, la RIKSBANK, la plus vieille banque centrale du monde, le jour même où la Suède sortit du SME, et très détendu, il m’annonça que la décision venait d’être prise de laisser filer la monnaie pour sauver l’économie.

La couronne perdit immédiatement 25 % vis-à-vis du DM, et c’est là que les choses sérieuses commencèrent, car il peut y avoir des dévaluations ratées (celles de la IVe République) et des dévaluations réussies. Pour qu’une dévaluation réussisse, il faut d’abord suivre une politique monétaire très restrictive pour empêcher que l’inflation ne grimpe, nationaliser toutes les banques qui seraient en difficulté pour prévenir les paniques bancaires, chacun essayant de sortir le maximum de cash de la banque, le cas échéant mettre en prison les présidents et directeurs généraux de ces banques s’ils le méritent, ce qui est très bon pour le moral de la population, pour bien sûr réintroduire ces banques en bourse trois ans après en faisant cinq fois la mise…

Il faut aussi que les actionnaires des banques perdent tout, ainsi que ceux qui ont souscrit aux obligations émises par la banque, pour qu’ils retiennent la leçon.

Et il faut enfin que l’économie soit massivement déréglementée et libérée… etc.

Et tout cela a un seul but : organiser un transfert de richesse, aussi grand que possible, des rentiers vers les entrepreneurs. Seuls les entrepreneurs réussiront à nous sortir de la trappe à dettes, cela est une certitude. Et cela se passe quand la rentabilité du capital passe au-dessus du coût du capital.

Et c’est ce qui fut fait en Suède, et depuis la dette de l’État a baissé de 15 points de PIB, les budgets sont en excèdent, les comptes courants aussi, la bourse de Stockholm a fait 60 % de mieux que l’indice américain (S&P 500) depuis janvier 1993, et rien n’est pourri dans le royaume de… Suède.

Résumons-nous : pour revenir à une démocratie, il faut et il suffit de revenir à de vrais prix pour les taux d’intérêt et les taux de change tout en dérèglementant l’économie et en coupant dans les dépenses étatiques improductives subventionnées pendant des années par les faux prix de l’argent.

C’est ce que firent la Grande-Bretagne de Madame Thatcher, le Canada de Jean Chrétien, la Corée du Sud après sa faillite en 1998, ou la France de de Gaulle en 1958. Et c’est la seule et unique façon de retrouver une croissance plus élevée que les taux d’intérêt, ce qui a terme fait disparaître la dette.

Inutile de dire que rien de tout cela ne se passera en France puisque rien n’a changé depuis Giscard : le seul et unique objectif de ceux qui ont été au pouvoir depuis 1974 ayant été de créer de toutes pièces une souveraineté européenne, qui ne peut pas exister puisqu’il n’y a pas de peuple européen ni de volonté de vivre ensemble européenne.

Nous sommes dans une impasse totale qui rappelle fâcheusement celle dans laquelle s’est trouvée l’Union Soviétique quand Solidarnosc a émergé en Pologne : la légitimité du pouvoir soviétique reposait sur la fiction que ce pouvoir représentait la classe ouvrière, et l’émergence d’un syndicat ouvrier prouvait et au-delà de ce qui était nécessaire que le pouvoir était illégitime. Restaient les tanks, ce qui est souvent insuffisant quand les soldats sont du même peuple que les mécontents.

Aujourd’hui, tout le monde sait que ce qui se passe à Bruxelles n’a rien, mais rien, à voir avec la volonté des peuples et donc ce pouvoir n’est en rien légitime. Il est tout au plus légal, et il n’a pas de tanks.

Or, quand le monopole de la violence légitime devient simplement le monopole de la violence légale, l’écroulement n’est pas loin. Et c’est là où nous sommes aujourd’hui en France. Le pouvoir est certes légal, mais il n’est plus légitime et c’est ce qu’ont prouvé les deux dernières élections en France, tant peu de gens se donnèrent la peine de voter.  Or, l’abstention aux élections précède souvent, et de peu, de très graves troubles sociaux.

Comme je ne cesse de l’écrire, nous rentrons dans des temps troublés, tant la classe au pouvoir, au sens marxiste du terme, apparaît comme résolue à défendre ses privilèges et sa vision du monde alors même que le peuple a rejeté cette vision lors d’un référendum dont il ne fut tenu aucun compte.

Les virer du pouvoir va être dur, très dur, et ce d’autant plus que la BCE est en train d’organiser un vrai coup d’État pour permettre la mutualisation de la dette entre pays européens, formellement interdite par les traités et par la Constitution allemande. Le viol des souverainetés nationales continue donc de plus belle et je comprendrai que chacun se désespère devant ce pouvoir autiste.

Mais c’est au plus profond de la nuit qu’il faut croire à l’aurore : qui s’attendait à l’effondrement de  l’URSS en 1988 ?