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Histoire de petits cochons

Par Charles Gave
http://institutdeslibertes.org

« Montrez- moi quelles sont les incitations que vous offrez et je vous annoncerai les résultats à venir ». Cette célèbre formule de Charlie Munger, depuis toujours le principal associé de Warren Buffet, est toujours aussi vrai que quand il l’a prononcé pour la première fois il y a bien longtemps déjà.

Au risque de passer pour un vieux grognon, ce qui ne serait pas tout à fait exact, étant certes vieux mais pas vraiment grognon, je voudrais faire un petit papier d’humeur sur les incitations qui sont proposées aux populations un peu partout dans notre monde aujourd’hui et comment les choses ont changé depuis mon enfance.
L’un des premiers livres dont je me souvienne racontait l’histoire des trois petits cochons, avant que Disney ne s’en empare.Il y avait donc trois frères cochons dont le premier était paresseux, le deuxième normal et quant au troisième il était vraiment bosseur. De notoriété publique, un loup se baladait dans la campagne.Le premier petit cochon pour s’abriter et se protéger se fit une cabane en paille, le deuxième se bâtit une maison en planches et quand au troisième il s’installa dans une maison en briques qu’il construisit après beaucoup d’efforts. Quand le loup eut faim, il n’eut aucun mal à souffler la cabane en paille pour détruire ensuite à grands coup d’épaules la cabane en planche mais ne pût rien contre la maison en briques.Tout le monde connait l’histoire.
La différence est que dans mon livre d’enfance, les deux premiers cochons étaient mangés sans autre forme de procès et que seul le troisième échappait au destin funeste qui avait frappé ses deux frères.
Le double message que de tels livres essayaient de faire passer aux jeunes générations était tout simple : Il y a toujours des loups qui se baladent dans la campagne et chacun est responsable de son destin individuel. Tout cela était fort bien résumé par des proverbes tels que : « Comme on fait son lit, on se couche » ou par des fables du style de « La cigale et la fourmi »
Aujourd’hui, quand je lis l’histoire des petits cochons à mes petits enfants, dans sa version Disney, les deux cochons paresseux réussissent à échapper miraculeusement au loup une fois leur abri détruit pour se refugier chez leur travailleur de frère, pour se moquer du loup une fois qu’ils sont bien à l’abri.

Depuis mon enfance, nous sommes donc passés d’une civilisation fondée sur la reconnaissance du danger (i.e. le mal existe) et la primauté de la responsabilité individuelle pour y faire face, à une autre conception fondée cette fois-ci sur le fait que le danger n’existe plus (les loups sont devenus gentils et s’ils sont méchants, on ira tous ensemble mettre une petite bougie sur les lieux de leurs méfaits) et on essaiera d’oublier aussi vite que possible ceux qui se sont fait manger.
Essayer de comprendre pourquoi ils ont été bouffés et qu’elle était leur responsabilité personnelle dans ce qui leur est arrivé est trop difficile. D’ailleurs quand je dis à mes petits enfants que dans la réalité, les deux premiers cochons ont terminé leurs vies dans le ventre du loup, ils me regardent avec horreur. Du coup, je ne le dis plus…

La liberté individuelle et son corollaire la responsabilité individuelle ont complètement disparu du paysage. C’est au troisième frère, et donc à la tribu, que revient la tache d’abriter les deux imprévoyants.Nous sommes passés en deux générations de la primauté de la responsabilité individuelle au primat de la responsabilité collective.Et ce retour à la primauté de la Tribu sur l’individu est un recul historique et civilisationnel absolument gigantesque et gros de multiples problèmes.
Je m’explique. En dépit de ce que nous dit le Pape François, dont le seul but apparait d’essayer de se rendre populaire auprès de ceux qui ont toujours détesté l’Eglise, notre Civilisation en Europe a des fondations profondément Chrétiennes et ne pas savoir que ces fondations existent peut amener à l’écroulement de tout l’édifice.
Quand je faisais mes études à Toulouse il y a cinquante ans, la ville commençait à se moderniser et l’on y faisait force trous pour y construire des parkings par exemple.A l’occasion de l’un de ces chantiers, les terrassiers mirent à jour un certain nombre de vieux tuyaux dont personne ne savait à quoi ils pouvaient bien servir. Ordre fut donné de les détruire et immédiatement tous les sous sols de la ville furent inondés. Toulouse avait été bâtie au temps des Romains sur des marais qui avaient été asséchés à grands renforts de canalisations, dont nul ne savait deux mille ans après qu’elles étaient encore là et qu’elles fonctionnaient toujours.
Et bien, notre Civilisation a ses fondations depuis deux mille ans dans une fusion entre la Philosophie Grecque et la religion Juive transformée par le message du Christ et cette fusion a donné qu’on le veuille ou non l’Occident Chrétien (Voir le livre de Philippe Nemo, « Qu’est ce que l’Occident »).
Et détruire ces vieilles canalisations, œuvre à laquelle s’est attachée depuis des lustres toute ce qui se dit de gauche chez nous, est en train de faire monter l’eau dans les caves un peu partout, ce qui commence à agacer beaucoup ceux qui vivent aux rez-de-chaussée.
Essayons de faire aussi bref que possible.
Le message des Grecs peut se résumer en une phrase, celle de Socrate « Connais-toi toi-même »
Le message du Christ peut aussi se résumer aussi en une phrase « Dieu ne sait compter que jusqu’à un »
Ce que voulait dire Socrate (et cette phrase a été commentée à l’infini par toute la philosophie occidentale depuis plus de 2000 ans) est que chaque homme est différent et que lui et lui seul peut essayer de comprendre qui il est.
Ce que voulait dire Jésus (c’est du moins mon interprétation) est que Dieu n’est pas intéressé par le collectif, mais par chacun d’entre nous individuellement. Il n’est intéressé que par des relations de personne à personne.
Jésus ne dit jamais à l’un de ses apôtres « Va dire à Pierre ou à Jean de faire ceci ou cela ».
Il dit toujours « Si tu penses que quelque chose doit être fait, fais-le-toi-même »
Ces deux vérités essentielles impliquent que seule compte l’individu et que la Tribu avec ses codes et ses excès (recherche du bouc émissaire, emballement collectif, pensée unique, justice « sociale », tabous, parti-pris etc..) doit être abandonnée. Nul ne peut dire « ce n’est pas de ma faute » ou « je ne l’ai pas voulu » ou encore « je ne l’ai pas fait exprès » ou enfin « je n’étais pas au courant ».
Et c’est de cet abandon du collectif irresponsable et égoïste au profit de l’action individuelle qu’est née toute notre civilisation.
Samuel Huntington, l’auteur du « Clash des civilisations », qui a fort bien annoncé les difficultés actuelles entre le monde Musulman et toutes les autres civilisations disait que la caractéristique singulière de la civilisation occidentale était qu’elle prônait sans cesse la prééminence de l’individu sur le collectif, et qu’elle était la seule à le faire.
Et de cette réalité sont venus l’abandon de l’esclavage, les progrès de la Science, la Démocratie, l’égalité entre les hommes et les femmes l’amélioration du sort des plus démunis…
Nous vivons de fait un recul terrible et le pire est que nous sommes abandonnés par ceux qui devraient nous guider, nos chefs politiques, nos élites et certains chefs de nos Eglises (pas tous, heureusement) qui retournent vers le collectif comme le chien retourne vers son vomi, car c’est la pente de la nature humaine : trouver des excuses extérieures à soi même après les inévitables échecs qui marquent chaque vie…
Mais le message reste vrai : il n’existe d’amélioration durable dans le monde qui si chacun de nous cherche à mieux se connaitre et pour cela, avoir des incitations « sociales » qui nous y incitent est la seule chose qui marche.
Et par exemple, l’égalité des chances au départ dans l’éducation est le but le plus noble qui soit. Que tout le monde ait les mêmes résultats à l’arrivée par décret est par contre une saloperie puisque cela empêche chacun de se connaitre vraiment.
Retrouver sa Liberté individuelle est donc le but que chacun doit se fixer. Et peu d’époques y ont été aussi peu propices que l’époque actuelle.