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La guerre, la propagande, et l’aveuglement

par Thierry Meyssan

La propagande rend stupide. Nous savons que les nationalistes intégraux ukrainiens ont commis d’abominables massacres, particulièrement durant la Seconde Guerre mondiale. Mais nous ignorons ce qu’ils font à nos portes depuis trente ans, notamment la guerre civile qu’ils conduisent depuis huit ans. Notre propre stupidité nous permet de supporter les cris de guerre de nos responsables politique aux côtés de ces criminels.

RÉSEAU VOLTAIRE | PARIS (FRANCE) | 25 OCTOBRE 2022

Lorsque survient une guerre, les gouvernements croient toujours qu’ils doivent renforcer le moral de leur population en les abreuvant de propagande. Les enjeux sont tels, la vie et la mort, que les débats se durcissent et les positions extrémistes font recette. C’est très exactement ce à quoi nous assistons ou plutôt la manière dont nous nous transformons. Dans ce jeu, les idées défendues par les uns et les autres n’ont aucun rapport avec leurs présupposés idéologiques, mais avec leur proximité du pouvoir

Au sens étymologique, la propagande, c’est juste l’art de convaincre, de propager des idées. Mais à l’époque moderne, c’est un art qui vise à reconstruire la réalité pour dénigrer l’adversaire et magnifier ses propres troupes.

Contrairement à une idée répandue en Occident, ce ne sont pas les nazis, ni les Soviétiques qui l’ont inventée, mais les Britanniques et les États-uniens durant la Première Guerre mondiale [1].

Aujourd’hui, l’Otan coordonne les efforts en la matière depuis son Centre de communication stratégique de Riga (Lettonie) [2]. Il identifie les points sur lesquels il veut agir et organise des programmes internationaux pour les mener à bon port.

Par exemple, l’Otan a identifié Israël comme un point faible : alors que l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu était un ami personnel du président ukrainien Volodymyr Zelensky, son successeur Naftali Bennett, reconnut le bien-fondé de la politique russe. Il conseilla même de restituer la Crimée et le Donbass et, surtout, de dénazifier l’Ukraine. L’actuel Premier ministre, Yaïr Lapid, est plus hésitant. Il ne veut pas soutenir les nationalistes intégraux qui massacrèrent un million de juifs peu avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais il veut aussi rester en bons termes avec les Occidentaux.

Pour ramener Israël dans le droit chemin, l’Otan tente de persuader Tel-Aviv qu’en cas de victoire russe, Israël perdrait sa position au Moyen-Orient [3]. Pour cela, il diffuse le plus largement possible le mensonge selon lequel l’Iran serait l’allié militaire de la Russie. La presse internationale ne cesse de prétendre que, sur le champ de bataille, les drones russes sont iraniens et bientôt les missiles à moyenne portée le seront aussi. Pourtant Moscou sait fort bien fabriquer ces armes et n’en a jamais demandé à Téhéran. La Russie et l’Iran ne cessent de démentir ces allégations. Mais les responsables politiques occidentaux, s’appuyant sur la presse et non pas sur la simple réflexion, ont déjà pris des sanctions contre les marchands d’armes iraniens. Bientôt Yaïr Lapid, fils du président du mémorial Yad Vashem, sera cerné et contraint de se ranger du côté des criminels

Les Britanniques, quant à eux, excellent traditionnellement dans l’activation de médias en réseau et dans l’enrôlement des artistes. Le MI6 s’appuie sur un groupe de 150 agences de presse travaillant au sein du PR Network [4]. Ils convainquent toutes ces sociétés de reprendre leurs imputations et leurs slogans.

Le fondateur du nationalisme intégral ukrainien, Dmytro Dontsov, éprouvait une haine obsessionnelle contre les juifs et les tsiganes. Durant la Guerre mondiale, il quitta l’Ukraine pour devenir administrateur de l’Institut Reinhard Heydrich. C’est cette institution, basée en Tchécoslovaquie, qui fut chargée de planifier l’extermination de tous les juifs et de tous les tsiganes lors de la Conférence de Wannsee. Il finit ses jours paisiblement aux États-Unis.
Ce sont eux qui vous ont successivement convaincu que le président Vladimir Poutine était mourant, puis qu’il était devenu fou, ou encore qu’il rencontrait une forte opposition chez lui et qu’il allait être renversé par un coup d’État. Leur travail se poursuit aujourd’hui avec les interviews croisés de soldats en Ukraine. Vous entendez les soldats ukrainiens dirent qu’ils sont nationalistes et les soldats russes qu’ils ont peur mais doivent défendre la Russie. Vous entendez que les Ukrainiens ne sont pas des nazis et que les Russes, vivant sous une dictature, sont contraints de se battre. En réalité, la plupart des soldats ukrainiens ne sont pas« nationalistes » au sens de défenseurs de leur patrie, mais « nationalistes intégraux » au sens de deux poètes, Charles Maurras et de Dmytro Dontsov [5]. Ce n’est pas du tout pareil.

Ce n’est qu’en 1925 que le pape Pie XI condamna le « nationalisme intégral ». À cette époque Dontsov avait déjà écrit son Націоналізм (Nationalisme) (1921). Maurras et Dontsov définissent la nation comme une tradition et pensent leur nationalisme contre les autres (Maurras contre les Allemands et Dontsov contre les Russes). Tous deux abhorrent la Révolution française, les principes de Liberté, Égalité et Fraternité et dénoncent sans relâche les juifs et les francs-maçons. Ils considèrent la religion comme utile à l’organisation de la société, mais semblent agnostiques. Ces positions conduisent Maurras à devenir pétainiste et Dontsov hitlérien. Ce dernier s’enfoncera dans un délire mystique varègue (viking suédois). Le pape suivant, Pie XII, abroge la condamnation de son prédécesseur, juste avant que la guerre n’éclate. À la libération, Maurras sera condamné pour intelligence avec l’ennemi (lui qui était germanophobe), mais Dontsov fut récupéré par les services secrets anglo-saxons et s’exila au Canada, puis aux USA.

Quant aux soldats russes que nous voyons interviewés lors de nos journaux télévisés, ils ne nous disent pas qu’ils sont contraints de se battre, mais, qu’à la différence des nationalistes intégraux, ils ne sont pas fanatiques. Pour eux, la guerre, même lorsqu’on défend les siens, est toujours une horreur. C’est parce qu’on nous répète à l’envie que la Russie est une dictature que nous comprenons autre chose. Nous n’acceptons pas que la Russie soit une démocratie parce que, pour nous, une démocratie ne peut pas être un régime autoritaire. Pourtant, par exemple, la Deuxième République française (1848-1852) était à la fois une démocratie et un régime autoritaire.

Nous sommes faciles à convaincre parce que nous ignorons tout de l’histoire et de la culture ukrainienne. Tout au plus savons nous que la Novorossia fut gouvernée par un aristocrate français, Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu, ami personnel du Tsar Alexandre Ier. Il poursuivit l’œuvre du prince Grigori Potemkine qui voulait édifier cette région sur le modèle d’Athènes et de Rome, ce qui explique qu’aujourd’hui encore la Novorossia est de culture russe (et non pas ukrainienne) sans jamais avoir connu le servage.

Le mémorial de Bibi Yar à Kiev. 33 771 Ukrainiens juifs y furent fusillés en deux jours, les 29 et 30 septembre 1941 par les Waffen SS ukrainiens et les Einsatzgruppen de Reinhard Heydrich. Ce massacre fut célébré comme une victoire par les nationalistes intégraux. Aujourd’hui, le gouvernement ukrainien a nommé la grande avenue qui y conduit du nom du nationaliste intégral Stepan Bandera, « en honneur » du plus grand criminel de son histoire.

Quelques mois après son élection, le 6 mai 1995, Leonid Kouchma, le second président de la nouvelle Ukraine, se rendit à Munich pour rencontrer Slava Stetsko, la veuve du Premier ministre nazi ukrainien. Il accepta l’introduction dans la nouvelle Constitution d’une référence explicite au nazisme : « préserver le patrimoine génétique du peuple ukrainien relève de la responsabilité de l’État » (sic).+
Nous ignorons, en Ukraine, les atrocités de l’entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale, et avons une vague idée des violences de l’URSS. Nous ignorons que le théoricien Dontsov et son disciple Stepan Bandera n’ont pas hésité à massacrer tous ceux qui ne correspondaient pas à leur « nationalisme intégral », les juifs d’abord dans ce pays khazar, puis les Russes et les communistes, les anarchistes de Nestor Makhno, et bien d’autres encore. Les« nationalistes intégraux », devenus admirateurs du Führer et profondément racistes, sont revenus sur le devant de la scène avec la dissolution de l’URSS [6]. Le 6 mai 1995, le président Léonid Kuchma se rendit à Munich (dans les locaux de la CIA) pour rencontrer la cheffe des nationalistes intégraux, Steva Stesko, la veuve du Premier ministre nazi. Elle venait d’être élue à la Verkhovna Rada (Parlement), mais n’avait pas pu y siéger car ayant été déchue de la nationalité ukrainienne. Un mois plus tard, l’Ukraine adopta son actuelle constitution laquelle dispose en son article 16 que : « préserver le patrimoine génétique du peuple ukrainien relève de la responsabilité de l’État » (sic). Par la suite, la même Steva Stetsko ouvrit par deux fois la session de la Rada, concluant ses intervention du cri de guerre des nationalistes intégraux : « Gloire à l’Ukraine ! ».

L’Ukraine moderne a patiemment construit son régime nazi. Après avoir proclamé le « patrimoine génétique du peuple ukrainien », elle a promulgué diverses lois. La première n’accorde le bénéfice des Droits de l’homme par l’État qu’aux Ukrainiens, pas aux étrangers. La seconde définit ce que sont la majorité des Ukrainiens et la troisième (promulguée par le président Zelensky) qui forment les minorités. L’astuce est qu’aucune loi ne parle des russophones. Par défaut, les tribunaux ne leur reconnaissent donc pas le bénéfice des Droits de l’homme.

Depuis 2014, une guerre civile oppose les nationalistes intégraux aux populations russophones, principalement celles de Crimée et du Donbass. 20 000 morts plus tard, la Fédération de Russie, appliquant sa « responsabilité de protéger », a lancé une opération militaire spéciale pour appliquer la résolution 2202 du Conseil de Sécurité (Accords de Minsk) et mettre fin au martyre des russophones.

Le président Zelensky et son ami, Benjamin Netanyahu. Ce dernier fait aujourd’hui du soutien à l’Ukraine son principal thème de campagne électorale. Netanyahu est le fils du secrétaire particulier de Zeev Jabotinsky ; une personnalité ukrainienne qui fit alliance avec les nationalistes intégraux contre les bolchéviques. Il tenta de mettre la communauté juive ukrainienne au service de ces antisémites, mais fut unanimement dénoncé au sein de l’Organisation sioniste mondiale dont il devint un administrateur.
La propagande de l’Otan nous abreuve des souffrances réelles des Ukrainiens, mais elle fait l’impasse sur les huit ans de tortures, de meurtres et de massacres qui ont précédé. Elle nous parle de « nos valeurs communes avec la démocratie ukrainienne », mais quelles valeurs partageons nous avec les nationalistes intégraux et où est la démocratie en Ukraine ?

Nous n’avons pas à choisir entre les uns et les autres, mais uniquement à défendre la paix et donc les Accords de Minsk et la résolution 2202.

La guerre nous rend fous. Il se passe alors un renversement des valeurs. Les plus extrémistes triomphent. Certains de nos ministres parlent « d’étouffer la Russie » (sic). Nous ne voyons pas que nous soutenons les idées contre lesquelles nous croyons combattre.