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l’art contemporain comme malbouffe artistique et désastre environnemental

Mon entretien avec Elizabeth Schneiter, pour le magazine Reporterre
10 février 2016
En quoi l’art est-il, selon vous, dans une situation comparable à celle de la nature, ou de l’environnement ? 
L’art dit « contemporain » est un art hors-sol, artificiellement engraissé, contre nature, vidé de toute substance vraiment vivante et artistique, comme la production agricole industrielle que l’on pourrait appeler « contemporaine », car au nom d’un même  « modernisme » ou « internationalisme », il s’y commet les mêmes ravages sur les cultures et sur les sols que sur la création artistique et le terreau social et humain qui la nourrit. Les deux subissent une même logique mondialisante, donc forcément aplatissante, aseptisante, dévitalisante, déterritorialisante et déshumanisante.
 
 En quoi l’art contemporain doit-il intéresser les écologistes  
Ce qui se passe dans le champ artistique devrait attirer l’attention des écologistes et faire partie de leurs sujets de réflexion, d’étude, d’analyse et d’action, car il y a de nombreuses homologies.
À l’économie virtuelle des bulles financières, destructrices de l’économie réelle, correspond très exactement le Financial art des bulles artistiques, destructeur de l’art vivant.
La puissance détergente du discours terrorisant des grands rhétoriciens du Rien artistique, subventionné et mondialisé, ce discours globalement négatif, creux, abscons, morbide et terriblement anxiogène de l’art dit « contemporain », possède la même redoutable efficacité herbicide, pesticide et liberticide, que les substances chimiques nocives utilisées dans l’agriculture. Ce discours détruit le contenu sensible et poétique considéré comme superflu, et veut empêcher toutes floraisons en dehors de celles, obscènes, et formatées aux normes du contemporain-international « hors-sol » qu’il promeut.
Je constate  un déni de réalité,  une sorte d’omerta sur le sujet de la part de tous les partis politiques, y compris les écologistes. J’ai toujours pensé qu’un jour ou l’autre cette omerta serait levée et que l’on pourrait alors en étudier les raisons profondes, et je souhaite que cet entretien puisse contribuer à la levée du tabou et au déverrouillage de l’information sur les souffrances de l’art en ce pays.
 
Pourrait-on parler d’art « bio »?
L’art, pour être vraiment Art, est forcément « bio », c’est à-dire libre, naturel, bien ancré dans la vie et dans un terroir, sans trace d’idéologie polluante, sans adjuvants rhétoriques propulseurs de goût, sans messages parasites extérieurs à lui, etc. 
Il prend alors sa valeur intemporelle, universelle et donc patrimoniale.
 
L’art, pour être vraiment Art, ne peut être le résultat d’une « culture » forcée par la subvention ou par la loi du marché, ni d’un gavage de cerveau avec des concepts indigestes… puisqu’il est le contraire de cela. Oui, l’art, pour être vraiment Art,  est nécessairement « bio », c’est-à-dire durable, partageable, respectueux de l’environnement humain, non empoisonné par la cupidité et l’attrait du pouvoir.
 
Qu’appelez-vous des œuvres « naturelles », ou flore naturelle, dans le domaine de l’art ?
J’essaie, sinon de « l’appeler », en tous cas de la désigner en la montrant le plus possible dans mes chroniques et sur mon blog. J’ai constitué une « collection » d’un millier d’œuvres environ, cueillies au cours de mes promenades sur internet. C’est une flore artistique  étonnamment  riche et variée, qui pousse librement, sans subventions, en toute indépendance des critères du ministère de la culture et du marché spéculatif, critères qui sont à peu près les mêmes pour l’un et l’autre, et qui ne sont en rien des critères d’ordre esthétique. (L’éthique, n’en parlons pas ici…)
 
Cette flore représente 95% de la création artistique actuelle. Face aux 5%  formatés et conformes aux exigences du système bureaucratico-financier dominant, 95% des artistes aujourd’hui sont exclus de l’art dit «contemporain», car ce système « totalitaire », ne conçoit d’autre art que celui, pollué et toxique, excrété et négocié par son appareil. Bien entendu, ce système ignore, occulte et disqualifie autant qu’il le peut cette fabuleuse floraison sauvage qui lui échappe, et qu’il ne voit pas, ne comprend pas, n’aime pas, ne reconnait pas.
Ce qui est plutôt rassurant, c’est qu’au bout de quarante ans bientôt d’une politique forcenée (et coûteuse pour le contribuable) de désartification par vidage du contenu au profit de l’enrobage discursif, par éradication du sensible et de la poésie dans le champ de l’art, le ministère et le marché spéculatif ne sont absolument pas parvenus à leurs conjointes fins.
Certes les artistes sont isolés et paupérisés ; certes les galeries prospectives, c’est-à dire découvreuses de nouveaux artistes, sont en difficulté ; certes de monstrueuses plantes artificielles obstruent le paysage, certes le public est désemparé, mais jamais la création authentique n’a été aussi abondante, foisonnante, vivante, d’une qualité et d’une diversité étonnante, et jamais l’accès à cette création n’a été, grâce à internet, aussi facile. Tout comme il reste, Dieu soit loué, la même abondance, diversité et qualité, dans les productions agricoles et alimentaires «  de terroirs » en France.
 
Comment pourriez-vous définir ou décrire les œuvres de l’art officiel ?
Cet art officiel dit contemporain est un art de « système », totalement démontable, sans nécessité intérieure, sans accroche sensible, sans mystère ni poésie, sans contenu. Il ne peut être ni viable, ni durable, ni partageable, ni transmissible aux générations futures.
Ce produit de la spéculation, intellectuelle ou conceptuelle, et financière, détruit l’art comme l’économie virtuelle détruit l’économie réelle et comme la spéculation sur les céréales et la viande détruit les sols et empoisonne les agriculteurs.
C’est un art de la disparition du contenu sensible, charnel et vivant ( comme le sol de l’agriculture « contemporaine » se vide de ses organismes vivants) au profit du contenant le plus spectaculaire et provocateur possible ; au profit du discours d’enrobage et d’endoctrinement à la malbouffe artistique, au profit du discours du rien à dire mais le faire savoir ; au profit d’un bourrage médiatique destiné à combler son absence d’objet et sa vacuité ontologique; bref, au profit de ce  verbe qui, comme chacun sait,  fabrique de l’argent et du pouvoir en-soi et pour soi et en vit.
C’est donc un art de la communication à vide, de la posture, de la frime, du bidon sonore, et de l’imposture, du n’importe quoi fabriqué et imposé par des gens qui ne comprennent pas l’art, qui ne l’aiment pas et sont qualifiés, payés et fonctionnarisés pour ça, et pour en dégouter un maximum de citoyens, comme on dégoûte les gens de la bonne nourriture moins rentable que la malbouffe.
C’est un art destiné à générer l’ébahissement des foules et  l’incompréhension culpabilisante devant la sophistication et l’inextrabilité langagière qui l’enrobe et qui fonctionne comme une logorrhée hypnotique et incantatoire. C’est un instrument très puissant d’exercice pervers du pouvoir, par sa capacité à la crétinisation, à la radicalisation sectaire de ses agents, au décervelage ubuesque des populations !
C’est un outil d’aliénation, d’inféodation des médias et de la critique d’art à la finance internationale ; un outil d’asservissement du bon peuple, par le caractère terrifiant des prêches de ses ayatollahs, par ses provocations, son non-sens, son cynisme,  ses trangressions spectaculaires et par l’énormité étourdissante du prix des œuvres du Show-art-business.
 
 Pourquoi l’État français encourage-t-il cet art-là, celui de la frime, de la vacuité, de la destruction du sens ? Qui en sont les agents, pourquoi acceptent-ils?
L’absurdité et la dangerosité de l’intervention de l’État, viennent de ce que l’État est d’abord un appareil, avec une logique d’appareil qui détourne les bonnes intentions qui mettent en place les structures. La machine diabolique échappe à ses concepteurs et devient incontrôlable. Il faudrait là aussi rétablir des circuits cours et de proximité.
Il faudrait que le politique reprenne les rênes de cette usine à gaz bureaucratique complétement dérégulée, de ce bulldozer sans queue ni tête qui écrase et dévaste la flore naturelle. Il faudrait bien évidemment lui couper son alimentation en carburant, c’est-à-dire sa perfusion d’argent public. Ce serait le plus simple et  le plus efficace, mais ce serait aller contre des lobbies et puissants réseaux d’intérêts devenus consubstantiels au système.
Il serait temps, je crois,  que les écologistes s’en préoccupent…