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Les Argentins ont élu un président qu’on aimerait avoir en France

Déjà pendant la campagne électorale, Javier Milei donnait des aigreurs d’estomac à nos perroquets et nos perruches des médias. L’Argentine, c’est loin, mais pas assez pour échapper à leur vindicte.

Nos donneurs de leçons tous azimuts lui reprochaient d’être fan de Donald Trump et de Bolsonaro, climato sceptique et anarcho capitaliste. « Un populiste » disaient-ils avec la tronche en biais. De quoi nous le rendre sympathique.

D’autant qu’il s’affirmait dégagiste. « Ces parasites et ces voleurs ont tous failli depuis vingt ans, dégageons-les à coups de pied au cul !» tel était son slogan. En mettant dans le même sac les libéraux socialisants et les socialistes libéraux. Un discours qui a plu à tous ceux qui en avaient ras-le-bol des combines politicardes et des promesses jamais tenues.

Qui est Javier Milei, le président élu avec 56% des voix ?

Une sorte d’hybride de Zemmour et de feu Tapie. Comme le premier il est un redoutable polémiste qui enflamme les plateaux télé et explose les audimats. Dans un pays où la parole n’est pas entravée comme en France par une foultitude de délits d’opinion, il peut donner libre cours à son talent, être clivant et déstabiliser ses contradicteurs. Tandis que ses partisans le relaient sur les réseaux sociaux.

Comme Zemmour, il possède un bagage impressionnant. Économiste de formation, professeur d’université, fin lettré, cultivé dans de multiples domaines, auteur de nombreux livres, il est difficile de le coincer sur un sujet qu’il ne connaîtrait pas. Mais il n’est ni pédant ni arrogant. Il explique, argumente, et sait être accessible au citoyen lambda, sans se cacher derrière un patois d’experts. Ce qui hystérise les journalistes de la gauche mondialiste aussi puants qu’en France.

De Tapie, il a la gouaille populaire. Le sourire carnassier et le mot qui tue. Passionné de foot, il connaît tous les clubs et tous les scores, un atout dans son pays… Étudiant, il fut le chanteur du groupe pop « Everest » qui reprenait des standards des Rolling Stones. Son logo de campagne est un lion rugissant. Et le tube « Panic Show » du groupe argentin « La Renga » rythme chaque meeting.

https://www.youtube.com/watch?v=6HBDHld4Sic

De sa jeunesse tumultueuse, il a conservé un look qui tranche avec les mines compassées et les fringues amidonnées des politicards de métier. Pour passer à la télé, et se donner l’air d’un président, il se déguise en costard cravate. Mais il est plus naturel en veste de cuir, cheveux mi-longs ébouriffés, et favoris touffus d’un vieux rocker de 53 ans.

Un programme qui ne fait de cadeaux à personne

Il se présente sur scène avec une tronçonneuse à la main et promet de découper un état obèse qui dilapide l’argent des contribuables.

Député de Buenos Aires depuis 2021, à la tête de la coalition libérale et conservatrice « La Libertad Avanza » (La liberté avance) son parti a déjà émondé la jungle des dépenses inutiles, partout où il le pouvait au plan local. À présent, il est temps de passer au niveau national… Pour donner l’exemple, il a renoncé à toucher son salaire d’élu, et le fait gagner tous les mois dans une loterie !

« Je ne suis pas candidat pour conduire des agneaux mais pour réveiller des lions » dit Javier Milei. Cela convient à un peuple plutôt spontané et optimiste, qui n’oublie pas que son pays fut une puissance économique et technologique avant la deuxième guerre mondiale, et tenait encore un rang enviable dans le concert des nations jusque dans les années soixante.

Pour connaître un peu ce pays, je dirais que les Argentins, même désargentés, sont des Italiens qui parlent espagnol, se prennent pour des Américains et adorent la culture française. Comme les mahométans ne leur pourrissent pas la vie, la cause du déclin est identifiée comme « el quilombo » le grand bordel résultant de la corruption, du fiscalisme et de la bureaucratie. Comme en France avant l’invasion.

Ses adversaires l’attendent au tournant

Ses contempteurs ont bien essayé de lui reprocher de tailler dans les dépenses sociales. Or là où son parti est implanté, ce sont les entreprises qui ont magouillé des combines avec des politiciens véreux qui souffrent des restrictions. « Plus de marchés publics, ni de subventions pour les pourris !» Et si on essayait ça en France ? Allô Macronescu, qu’en disent tes patrons de McKinsey et de BlackRock ? Ça leur file des boutons ?

Milei qui se définit comme un anarcho-capitaliste est d’abord un pragmatique. Attaché aux résultats. Et prêt à essayer autre chose si ça patine. Son action s’inscrit dans un courant de pensée qui associe le libertarianisme pour couper les tentacules de la pieuvre étatique, le nationalisme pour rassembler et partager une ambition commune, et le conservatisme pour ne pas se laisser entraîner dans les mœurs dépravées des démocratures européennes.

Sa force : déplacer et dépasser les limites

Comme Trump, il lance des ballons d’essai pour voir comment le peuple va réagir. Ainsi, puisque le dollar US est déjà l’unité monétaire de référence dans presque toutes les transactions, il a proposé qu’il remplace officiellement le peso argentin. Comme ont fait l’Équateur, le Salvador et Panama, qui ne s’en portent pas plus mal… Avec une inflation de 140% par an, et l’endettement croissant des finances publique et des ménages, bien des gens se sont dit « Pourquoi ne pas essayer ?» Quant à la fierté nationale… Ça ne peut pas être plus humiliant que la tutelle du FMI.

Dans un pays à majorité catholique, il traite publiquement le pape argentin de « crétin Bergoglio représentant de Satan sur terre ». Ce style outrancier pouvait faire craindre le pire. Pas du tout. C’est l’opinion qu’ont du pape de nombreux Argentins qui n’osaient pas le dire et sont bien contents que Javier blasphème à leur place. Sans risque de se fâcher avec leurs proches, grenouilles de bénitiers et cafards de sacristies.

Pour Javier Milei, l’État fédéral argentin est le responsable de la pagaille. Quand il propose de transférer la culture, la santé et les prestations sociales aux exécutifs et législatifs élus des 24 provinces autonomes qui gèrent déjà l’enseignement et la justice, il ne s’agit pas d’un démantèlement des services publics, mais d’un redéploiement géographique où la bureaucratie serait contrôlée par le peuple… Un peu trop compliqué à comprendre pour les journaleux français jacobins et keynésiens.

À l’international, Victoria Vellaruel, la nouvelle vice-présidente a cosigné en 2020 avec le parti espagnol Vox, la Charte de Madrid qui vise à neutraliser les organisations de gauche sud-américaines oeuvrant à déstabiliser les démocraties libérales, sous l’égide du régime cubain.

Le système électoral argentin peut nous surprendre

Mais il n’est pas insolite en Amérique latine. Où les mélanges de démocratie directe, de parlementarisme et de césarisme ont toujours plus ou moins existé. Entraînant des cafouillages provoquant des coups d’État militaires pour mettre tout le monde d’accord.

Rappelons que le pseudo démocrate Allende fut élu au Chili en 1970 avec seulement 37% des voix, pour sa coalition hétéroclite de castristes, de maoïstes, et de sociaux-démocrates. La droite avec 63% des voix avait gagné l’élection. Mais elle avait deux chefs qui se détestaient. Or la constitution n’avait pas prévu un second tour. C’était au parlement de trancher. Et par une alliance contre nature entre démocrates-chrétiens et communistes, Allende rafla la mise.

La nomenklatura argentine avant Javier Milei se partageait entre un parti de gauche néo péroniste, et une droite opportuniste. Avec de nombreux petits partis. Au total 22 « tickets » pour élire président, vice-président et députés, dans un tir groupé un peu comme aux USA.

À la primaire nationale le 19 août, où tout le monde pouvait concourir, Javier est arrivé avec 32% des voix devant le socialaud Sergio Massa à 30%, et Patricia Bullrich 26% pour la droite classique.

À l’élection présidentielle du 22 octobre, restaient trois candidats. Aucun n’atteignait le quorum requis puisque la constitution argentine prévoit qu’en cas de trio, pour être élu dès le premier tour, il faut obtenir 45 % des voix ou bien 40 % avec au moins dix points d’avance sur l’adversaire arrivé derrière. Restaient donc en lice pour un second tour, le 19 novembre, les deux finalistes Sergio Massa et Javier Milei.

Pressée par les medias menteurs, les sondeurs truqueurs et la bien pensance progressiste de s’allier aux néo péronistes, Patricia Bullrich rejeta leurs injonctions et rejoignit Milei après que celui-ci se soit excusé pour les invectives dont il l’avait assaisonnée pendant la campagne. L’Argentine ne sera pas un Chili bis.

Christian Navis