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Les États-Unis deviennent isolationnistes. 

Par Charles Gave
7 janvier 2019

 

« L’anti-américanisme est le socialisme des imbéciles »

De Gaulle                                                                    

Une fois de plus, nous allons devoir réfléchir tous ensemble, tant je suis loin d’être certain de bien comprendre les conséquences de ce que je suis en train d’écrire.

Le Président Trump vient de dire qu’il allait sortir de Syrie les 20 000 hommes de troupe américains qui s’y trouvent. Il parle aussi de faire revenir au pays au moins la moitié du contingent américain d’Afghanistan, ce qui déclenche une grosse panique chez les chauds partisans du complexe militaro-industriel aux USA qui vont tout faire pour l’en empêcher. Mais ceci est une autre affaire.

Ce qui explique peut-être cette décision est l’annonce par les Russes qu’ils auraient mis au point des missiles naviguant à Mach 10 et donc complètement inarrêtables, ce qui veut dire en termes simples que TOUS les porte-avions américains sont maintenant susceptibles d’être détruits par les Russes en quelques minutes, ce qui ferait mauvais effet. Et les Chinois qui testent le même genre d’armement ne seraient pas loin derrière.

La réalité est donc toute simple ; dans la course aux armements, les États-Unis, empêtrés dans des guerres territoriales où ils n’avaient rien à faire et où ils auraient dépensé environ 15 000 milliards de dollars sur les 15 dernières années (excusez du peu), ont laissé tomber la recherche sur les nouveaux armements et donc ne produisent plus les meilleures armes au monde, pour la première fois depuis 1941. Ce qui fout en l’air toute la stratégie militaire des États-Unis qui a toujours été fondée sur une projection de force le plus loin possible des États-Unis par l’intermédiaire de ses flottes, toujours organisées autour d’un ou deux porte-avions entourés de bateaux qui les protègent et capables d’abattre tous les missiles qui se dirigeraient vers le porte-avions. Cette stratégie est obsolète, puisqu’aucun missile d’interception américain n’est capable d’arrêter les nouveaux engins russes.

Conceptuellement, les Russes sont donc maintenant capables de lancer une attaque éclair de « première frappe » qui ne serait pas automatiquement nucléaire, mais qui ferait disparaître tous les points de représailles possibles, sauf les sous-marins, ce qui forcerait les États-Unis à faire monter le conflit aux extrêmes, comme le craignait René Girard dans son livre sur Clausewitz, et serait un suicide collectif.

Devant ce qui est une nouvelle réalité, les autorités américaines ont le choix soit d’essayer d’établir des bases militaires sur le sol même des pays qu’elles veulent contrôler, ce qui est la recommandation des néoconservateurs américains, soit de se replier le plus vite possible sur le territoire américain en abandonnant toute prétention à un empire, laissant le reste du monde se débrouiller tout seul et donc se défendre tout seul, ce qui semble bien être l’idée de monsieur Trump. Et puisque la grande idée du Président US est de forcer les entreprises à produire aux États-Unis si elles veulent vendre aux États-Unis, plutôt que partout ailleurs, il ne voit pas très bien pourquoi il devrait protéger militairement les voies de communication qui permettent aux gens qui produisent ailleurs de vendre aux USA moins cher en bénéficiant de la protection de la flotte US dont ils ne payent pas les coûts. D’une certaine façon, protéger les voies de communication, c’est protéger les concurrents des États-Unis sans leur faire payer le coût de cette protection. Une idée que monsieur Trump a toujours trouvé bizarre. Et on ne peut pas lui en vouloir…

Si le lecteur accepte cette réalité, qu’est-ce que cela veut dire pour nous, Européens ou Français ?

 

Essayons de comprendre, ce qui ne va pas être chose aisée.

Commençons par la Méditerranée qui était devenue un lac américain, avec la VIe flotte, basée à Naples, d’où l’on contrôle l’Est, l’Ouest et le Sud de la mare nostrum (un porte-avions, le Truman, 40 bateaux, 175 avions embarqués, 20 000 hommes), des bases importantes en Turquie, une base anglaise à Chypre, des bases en Iraq et une en Syrie, en territoire Kurde…)

La protection de la flotte américaine aujourd’hui ne vaut plus tripette, la base en Syrie a fermé, les troupes américaines quittent ce pays, ce qui est une défaite incroyable pour leurs alliés saoudiens et une victoire tout aussi étonnante pour les Russes. Les autorités locales en Turquie font toutes sortes de difficultés quand les USA utilisent leurs bases dans ce pays. Reste l’Iraq, qui est bien loin et pas bien sûr. Quant à Israël, voilà un pays qui a d’autres chats à fouetter et où les USA n’ont pas de présence militaire.

Pour être réaliste, le Moyen-Orient est donc passé de fait sous le contrôle des Russes, à partir de Tartous et de Vladivostok, en raison de la révolution technologique dans les armements à laquelle la Russie vient de parvenir. Inutile de dire que monsieur Erdogan a compris de quel côté sa tartine était beurrée et qu’une nouvelle alliance Turco-Russe pour contrôler l’Iran et l’Europe se dessine à l’horizon, ce qui serait un peu le mariage de la carpe et du lapin et ressemblerait fâcheusement au pacte Ribbentrop — Molotov, de sinistre mémoire.

Il me semble que l’on peut dire aujourd’hui que l’idée de l’ex-Président Sarkozy que la France rejoigne  le commandement militaire de l’OTAN pendant son mandat sans rien obtenir en échange est de la même qualité que sa décision de ne pas respecter le vote des Français et de nous imposer la Constitution européenne rédigée par cet autre grand désastreux, monsieur Giscard, sous le nom de traité de Lisbonne.

La bonne nouvelle est que les marines nationales italiennes et françaises vont sans doute pouvoir faire la police au large de la Libye sans avoir à en demander la permission aux USA, et donc contrôler les flux migratoires, ce qui leur était interdit par les US depuis longtemps, mais qui va peut-être être autorisé, aux Italiens en tout cas. Hélas, l’Espagne gérée par le Mélenchon local, reste grande ouverte, quoique Vox soit en train de monter en force.

Mais imaginer le Président français donner cet ordre à la marine française implique un changement dans la compréhension du monde de monsieur Macron, ce qui n’est pas gagné d’avance compte tenu de la remarquable capacité du personnage à ne rien comprendre au monde réel. On pourrait dire de monsieur Macron ce que Raymond Aron disait de Giscard : « Un homme brillant (?), qui ne sait pas que l’Histoire est tragique ».

 

Venons-en au Nord de l’Europe, beaucoup plus important.

Ayant perdu la maitrise des mers qui était la leur jusqu’il y a peu, les USA ont immédiatement dénoncé le traitement de limitations des armes nucléaires qui les liaient à la Russie, et il ne pouvait pas en être autrement puisqu’il leur faut rétablir des sites de missiles nucléaires mobiles sur terre et non plus sur mer. Mais les autorités allemandes, en la personne du ministre des Affaires étrangères, ne l’entendent pas de cette oreille et ont fait savoir que c’était hors de question. Donc, non seulement les Allemands ne veulent pas payer pour leur défense, mais ils ne veulent pas que cette défense soit organisée à partir de leur territoire, et on les comprend. Et en plus, le gaz qui permet à leur industrie de tourner vient de… Russie.

Quant aux Anglais, ils ont pris la décision de quitter ce bateau qui coulait il y a déjà deux ans, et voilà qui ne va pas les inciter à revenir.

Bref, la nouvelle donne stratégique va couper l’Europe en deux, entre ceux qui vont se dire : autant être protégés par les Russes (les Allemands) et ceux qui voudront continuer à être protégés par les USA  du style du groupe de Visegrad. Et c’est peut-être à ce moment-là qu’il nous faut nous souvenir du mot de Lord Palmerston, le Premier ministre conservateur en Grande-Bretagne au XIXe siècle. : « Les Nations n’ont ni amis permanents, ni alliés permanents. Elles n’ont que des intérêts permanents qu’il appartient au gouvernement de défendre ».

 

Jusqu’à maintenant, je n’ai fait qu’un état des lieux. À partir de maintenant je vais faire des hypothèses, et donc je vais passer des faits à des conjectures, ce qui veut dire que j’ai de bonnes chances de me tromper.

Si mon analyse est la bonne, quel est l’intérêt des USA aujourd’hui ? Avant tout, et dans la vieille tradition de la diplomatie britannique, empêchez une alliance russo-germanique qui dominerait sans difficulté l’Europe. Comment empêcher ce qui semble inévitable à tout observateur de bon sens ?

La réponse est : en se rapprochant à toute allure du groupe de Visegrad, résurrection moderne de l’empire austro-hongrois, dont on oublie trop souvent qu’il comprenait l’Italie du Nord pendant très longtemps, et lui offrir la protection militaire dont les Allemands ne veulent plus.  C’est ce que monsieur Trump a annoncé lors de son voyage en Pologne dans le discours qu’il a prononcé à Varsovie. Et pour casser le libre passage de l’Allemagne au travers du groupe de Visegrad, le plus simple serait de casser l’euro, en se servant de l’Italie comme Cheval de Troie.

Pour faîte bref, l’euro était utile aux Américains tant que les Allemands acceptaient les missiles américains sur leur territoire. Comme ils refusent de payer les USA pour leur défense, qu’ils refusent que l’on mette les nouveaux missiles sur leur territoire et qu’ils continuent à acheter le gaz russe, on peut vraiment se dire qu’aux yeux des hommes qui décident aux USA, l’Allemagne est en train de devenir un danger, car l’alliance de l’Allemagne avec la Russie serait une vraie catastrophe qui forcerait les USA à quitter l’Europe aussi vite qu’ils vont quitter le Moyen-Orient.

Comme l’a écrit Kissinger dans son grand ouvrage, parfaitement rasoir d’ailleurs, sur la diplomatie ;  »Pauvre Allemagne, trop petite pour le monde, et trop grande pour l’Europe ». Pour les USA, il est sans doute nécessaire aujourd’hui de rappeler à l’Allemagne qu’elle est « trop petite pour le monde » une fois encore.  Si donc l’Allemagne continue à refuser les conseils « amicaux » des États-Unis, la meilleure façon de la (re) mettre au tapis, c’est tout simplement de la ruiner, ce qui limiterait l’intérêt des Russes, en demandant aux Italiens de faire le sale boulot en sortant de l’euro, tout en collant les missiles en Pologne ou en Tchéquie de façon à casser le continuum territorial entre l’Allemagne et la Russie, au cas où….

 

Et où tout cela laisse-t-il la diplomatie française, si tant est qu’une telle chose existât encore ?

Bonne question du lecteur qui y aurait pensé et à laquelle je n’ai pas de réponse. Jamais, et je dis bien, jamais, la diplomatie française n’a poursuivi avec tant de constance des chimères dont tout le monde – sauf elle — voit bien qu’elles sont complètement inadaptées à la situation actuelle de l’Europe et du monde. Reparler d’une communauté européenne de la défense (CED) qui a échoué ignominieusement en 1954, après un refus du parlement français, c’est vraiment du grand n’importe quoi…

Mais comment voulez-vous qu’un pays qui ne contrôle ni sa monnaie, ni son taux de change, ni son budget, ni ses frontières, ni l’immigration qu’elle subit et qui est en état de cessation de paiement si la BCE cesse d’acheter des obligations françaises ait une diplomatie indépendante ? La diplomatie française est à peu près aussi crédible que celle du Venezuela ou du Zaïre.

Comme je ne cesse de l’écrire depuis trois ans, nous sommes en train de rentrer à toute allure dans des temps révolutionnaires et un proconsul nommé par la Commission européenne est au pouvoir en France. Dans cette optique les gilets jaunes sont peut-être le début de la révolte qui permettra à la France de retrouver son indépendance et donc à terme une diplomatie, une vraie. Le chemin sera long et difficile, mais nous en avons vu d’autres. « Allez la France, allez », comme on dit au Rugby, sport que monsieur Macron n’a jamais pratiqué.

La France est aujourd’hui sur les ronds-points et nulle part ailleurs, comme elle était à Londres en 1940.