par Philippe Fabry
La récente passe d’armes entre Jean-Luc Mélenchon et Manuel Valls est pour moi l’occasion de traiter ce sujet dans toute la profondeur qu’il mérite : au cours de celle-ci l’ancien Premier ministre a accusé la France Insoumise de tenir un discours « islamo-gauchiste », de ce terme, islamo-gauchisme, désignant une certaine complicité entre l’extrême-gauche révolutionnaire et l’islam radical, dont les mentalités politiques violentes sont proches, et qui se retrouvent sur certaines obsessions : le conflit israélo-palestinien, la détestation de l’Amérique et du système capitaliste.
Il y a deux ans, je publiais un article établissant un parallèle historique entre le bolchévisme et l’islamo-terrorisme, ou djihdisme.
J’ai repris, comme une donnée, ce parallèle dans mon Atlas des guerres à venir, en particulier dans le cadre du parallèle global bolchévisme-fascisme/djihadisme-poutinisme, et ce afin d’analyser le rôle de l’internationale islamiste dans la guerre à venir. Les lecteurs du livre se souviendront, et ceux qui ne l’ont pas lu apprendront, que l’islamisme sera utilisé comme masse de manoeuvre par les Occidentaux pour défaire la Russie, comme les Alliés ont utilisé l’Union soviétique contre l’Allemagne nazie ; aussi bien les Américains ont-ils déjà utilisé les moudjahidines afghans pour vaincre l’URSS à la fin de la Guerre froide. J’explique que le fer de lance de l’islamisme dans cette guerre à venir sera la Turquie d’Erdogan, ce Staline musulman qui a considérablement renforcé son pouvoir au cours de l’année passée et, après avoir mené en Syrie une guerre indirecte contre la Russie en soutenant les groupes ennemis d’Assad, comme Staline et Hitler s’étaient opposés dans la guerre d’Espagne, a engagé à présent une collaboration avec la Russie autour d’Idleb, ce qui peut s’analyser comme une forme de pacte germano-soviétique : l’on ne peut aujourd’hui faire autrement que considérer que la Turquie est un état-membre de l’OTAN qui a fait défection, et se fournit désormais en armement chez Poutine en disant pis que pendre de l’Amérique.
J’expose également dans mon livre comment, après l’effondrement de la Russie, la Turquie, qui pendant la guerre bénéficiera probablement du soutien du Moyen Orient sunnite, profitera du vide laissé pour mener une politique panturque et panislamique, comme la Prusse avait profité de la chute de Napoléon pour constituer l’Empire allemand et Staline de la chute d’Hitler pour étendre l’Empire russe plus loin qu’il n’était jamais allé (je ne reprends pas ici en détail la trajectoire de l‘impérialisme revanchard, que j’estime connue de mes lecteurs). La guerre devrait donc laisser derrière elle un puissant Empire panturc dont les frontières seraient approximativement les suivantes :
Je voudrais aujourd’hui compléter ces conclusions de mon livre par une projection au-delà de cette date, en analysant les conséquences globales de la constitution de cette nouvelle puissance, en m’appuyant en particulier sur la poursuite de ce parallèle avec le communisme, mais aussi la poursuite du parallèle entre l’histoire turque moderne et perse ancienne, que je qualifiais dans mon Histoire du Siècle à venir de « Cycle D », et enfin du « cycle C », mon parallèle entre les trajectoires historiques du judaïsme antique et de l’islam. Ces trois angles d’approche convergent en effet vers les mêmes conclusions ; je vais donc m’efforcer d’exposer clairement tout ceci.
Conclusions du parallèle islamisme/communisme
Comme chacun sait, après la Seconde guerre mondiale et la constitution de l’Empire soviétique, le communisme est demeuré puissant dans certains pays en dehors des frontières du Pacte de Varsovie : en France, jusqu’à la fin des années 1970, le Parti communiste était la force hégémonique à gauche, avec plus de 20% des voix. Même les partis communistes ou socialistes de moindre importance servaient encore de relais d’influence à Moscou.
Dans l’hypothèse de la constitution d’une sorte d’empire panturc et panislamiste, sous l’égide de la Turquie telle qu’Erdogan est en train de la transformer, c’est-à-dire selon l’idéologie des Frères musulmans, il est vraisemblable que cette puissante entité politique cherchera à constituer des réseaux d’influence un peu partout, et notamment en Europe. Nous en avons déjà des indices : d’abord, Erdogan utilise les communautés turques en Europe comme des relais d’influence, et tente de cultiver leur puissance en les incitant à faire des enfants et à ne pas adopter la culture européenne. Ensuite, des partis musulmans ont commencé à apparaître en Europe : le parti « islam » en Belgique, l’union des musulmans démocratiques de France, en Espagne le Partido Renacimiento y Union de Espana. Ils sont certes groupusculaires, pour l’instant, mais pourraient, au lendemain de la guerre, bénéficier d’un élan important : d’abord, du soutien financier de l’empire panislamiste, ensuite du prestige turco-musulman acquis durant la guerre, enfin du fait que l’islamisme pourra se présenter, comme le communisme au lendemain de la Seconde guerre, comme l’alternative politique au système capitaliste occidental : dans l’après-guerre, étant donné que le poutinisme aura été complètement discrédité et avec lui toutes les extrêmes-droites nationalistes antiaméricaines, l’islamisme se trouvera en situation de monopole de fait pour ce qui est de l’antiaméricanisme et de l’anticapitalisme ; outre les musulmans eux-mêmes, de tels partis seraient donc susceptibles de séduire une frange de la population, par rejet du système – ce qui serait précisément la continuité de l’islamo-gauchisme existant actuellement. Par ailleurs, il faudrait aussi s’attendre à ce qu’une partie de la vieille droite européenne bascule également vers cette mouvance par goût pour la mentalité religieuse intégriste ; je suis prêt à parier que certains pourraient développer un discours pro-islamiste sur le thème de la régénération morale. Ce ne sera cependant pas l’essentiel de l’électorat de ces partis islamo-gauchistes.
Dans mon dernier livre, je supposais que cet empire panturc sunnite sera nécessairement hostile à l’empire américain, et que l’après-guerre se fera sur le mode de la guerre froide, dans laquelle cet empire panislamiste tentera de s’imposer véritablement dans l’ensemble du monde musulman tandis que les Etats-Unis chercheront à endiguer ce mouvement.
Or, l’on peut aller encore un peu plus loin, et envisager que, comme pour la Russie en 1945, la constitution de l’Empire panturc constituera pour la Turquie le point de départ d’une trajectoire historique de type « impérialisme revanchard ». Auquel cas la guerre provoquant l’effondrement de l’Empire, équivalent de la guerre de Sept Ans pour la France et de la Grande guerre pour l’Allemagne, devrait débuter une quarantaine d’années après. Si l’on prend comme date de fin estimée de la prochaine guerre les alentours de 2025, cela nous mène autour de 2065.