Les Borgia

Frederic Rolfe baron Corvo

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Collection : Auteur : Pages: 336 ISBN: 9782865532445

Description

Les Borgia : une histoire de passion et de mort, de violence et d’extrême raffinement. Le pire a été dit sur cette grande famille ; il restait à écrire le plus noble. En un peu plus d’un siècle, de 1455 à 1572, les Borgia bondissent d’un seul coup sur le piédestal de la gloire ; partis de petits évêchés et de cardinalats, ils atteignent la terrible attitude du Trône de Pierre ; ils produisent en ces quelques années deux papes, un saint et un général des Jésuites.

Un pape licencieux et ses enfants, une fille perdue, un aventurier brutal, usant tour à tour du poison et de la dague au gré de leur passions ; stupre, scandale, violence, telle est l’auréole noire qui entoure les membres de la maison des Borgia.

Mais, champion du pape calomnié, Frederic Rolfe  montre qu’Alexandre VI mit un terme à l’anarchie de Rome, arrangea ses affaires compliquées avec le royaume de Naples, et maria somptueusement a Giovanni Sforza sa fille Lucrezzia, âgée de 15 ans. De celle-ci il défend la mémoire en la décrivant « plus brillante par ses vertus que l’étoile de Rome », ainsi que celle de César Borgia, duc de Valentinois, soldat seulement un peu rude…

Spécialiste de la Renaissance, Frederic Rolfe plonge sans ménagement le lecteur dans l’univers convulsif et fascinant de l’Italie du XVe siècle.

Informations complémentaires

Poids0.53 kg
Dimensions24 × 15.5 × 2.8 cm

Extrait

PRÉFACE

Les Grandes Maisons gagnent et perdent en un siècle une gloire immortelle. Elles bourgeonnent, éclosent, fleurissent, portent fruit ; du fond de l’obscurité elles s’élèvent pour dominer leur Âge, indélébilement inscrire leur nom dans l’Histoire : un siècle plus tard, cédant la place à d’autres qui occuperont dorénavant le devant de la scène, elles disparaissent dans la foule et y poursuivent une vie anonyme, insignifiante et retirée.

Les Césars furent jadis les maîtres du monde ; le génie d’un Divus Julius ou d’un Divus Augustus était partout célébré sur les autels. Il existe aujourd’hui des Cesarini à Rome, cosa grande ch’il sole, maîtres de vastes domaines, non d’empires. Buonaparte tint jadis l’Europe dans ses griffes. Le Buonaparte d’aujourd’hui vit en exil dans les Flandres ou en Moscovie. Les Sforza furent jadis des souverains régnants ; deux de leurs filles devinrent respectivement impératrice et reine. Il existe aujourd’hui des Sforza à Santafiora et à Rome ; des princes les égaux, non des rois. Borgia jadis fut suprême dans la Chrétienté. Il y a des Borgia aujourd’hui, pairs de France ; ou des patriciens dont les noms sont inscrits dans le Livre d’Or de Rome.

En un peu plus d’un siècle, de 1455 à 1572, les Borgia bondissent d’un seul coup sur le piédestal de la gloire ; partis de petits évêchés et de cardinalats, ils atteignent la terrible altitude du Trône de Pierre ; ils produisent en ces quelques années deux papes, un saint et un général des Jésuites. Il est vrai qu’est mort au xixe siècle un autre Borgia de renom, Stefano Borgia, Cardinal-Presbytère du Titre de San Clemente, homme d’une bonté et d’une grandeur sans égales, digne d’être admiré par les Anglais pour certain haut fait qui n’a point encore été écrit dans les Annales de l’Angleterre ; et qui préféra garder un second rang plutôt que d’atteindre la vertigineuse prééminence de ses ancêtres.

L’histoire de la Maison des Borgia est celle de la fin du grand schisme ; de la renaissance des lettres et des arts ; de l’invention de l’imprimerie ; de la consolidation de cette souveraineté pontificale qui dura jusqu’en 1870 ; de la découverte d’un Monde ; c’est l’histoire de la découverte, par l’homme, de l’Homme.

« Il est impossible de pénétrer l’abîme de la personnalité humaine. Nul homme ne voit véritablement l’âme vivante de son prochain, de son épouse, ni même la sienne propre » (John Addington Symonds). Plus obscures doivent être celles de ses amis ; et plus impénétrables encore celles de ses ennemis. Et il s’agit ici des vivants. Que pouvons-nous savoir alors de personnalités qui ne sont plus que de simples noms, peut-être dénués d’intérêt ?

Il existe des chroniques, et des chroniqueurs ; dans lesquels on ne peut pas plus avoir confiance que dans nos modernes journaux du soir ou du matin. Le même défaut leur est commun – l’équation personnelle, la nature humaine de l’écrivain, de l’historien, du journaliste.

Le Cardinal Bartolomeo Sacchi (dit Platina) était « un païen, et de la pire sorte ». Il fut traduit devant un tribunal pour avoir adoré de faux dieux, acquitté faute de preuves, et quitta cette vie en odeur de sainteté. Les recherches effectuées de nos jours dans les recoins oubliés des Catacombes ont prouvé qu’il s’adonnait là à ses infâmes pratiques avec une poignée d’individus extravagants de même acabit. Il écrivit une Histoire des Papes qui mérite réellement d’être considérée comme véridique ; mais il en voulait personnellement au Pape Paul II, lequel l’avait fait juger pour paganisme, et soumettre à cette torture appelée la question ; c’est pourquoi il se vengea de Sa Sainteté lorsqu’il écrivit l’histoire de Sa vie, et il serait difficile de trouver un exemple plus singulier de vérité racontée de manière mensongère. Platina mourut sous le règne du Pape Sixte IV ; son Histoire des Papes fut continuée par Onofrio Panvinii, lequel, selon Sir Paul Rycaut, affirme très sérieusement qu’en 1489, le Pape Innocent VIII autorisa la Norvège à célébrer la messe sans vin ; ce pays étant très froid et fort éloigné, le vin y gelait ou tournait au vinaigre avant même d’y parvenir. Il est évident que ces allégations de Platina et de Panvinii exigent des vérifications.

Les observations de Messer Stefano Infessura sur Sixte IV mettent elles-mêmes en doute sa bonne foi et ses connaissances.

Monsignor Hans Burchard, dont le Diarium original n’est toujours pas retrouvé, est négligent, teuton et mesquin.

Les Orateurs des Puissances rédigent leurs notes diplomatiques à partir des ragots qu’ils ont pu entendre aux portes des palais, ou des propos tenus par des laquais vénaux.

Messer Paolo Giovio, que le Pape Clément VII proposa comme Évêque de Nocera, Messer Francesco Guicciardini et Messer Benedetto Varchi étaient tous des Florentins qui écrivaient à la manière florentine sur Rome et les affaires de Rome, d’un point de vue malveillant, et en s’appuyant exclusivement sur des potins et des commérages parvenus à Florence bien des années plus tard. Certes, ils écrivirent dans une langue noble et raffinée, « selon le désir de Dante, dans cette illustre langue maternelle des cardinaux de cour et de curie, propre à chaque État italien, mais particulière à aucun, à l’aune de laquelle les parlers locaux de chaque cité doivent être mesurés, pesés et comparés ». Mais… celui qui étudie leurs œuvres doit savoir que (comme tous les auteurs professionnels de brocards, de libelles et de pasquinades, à toutes les époques) ils ne louaient que ce qu’ils aimaient, et condamnaient rhétoriquement et catégoriquement ce qu’ils exécraient, composant à cette fin des catalogues concis des pires crimes relevés par la casuistique pour les déposer aux portes de leurs ennemis. Celui qui étudie l’histoire doit donc connaître les sympathies et les antipathies personnelles de ces historiens ; il doit découvrir leur équation personnelle ; et lorsqu’il a déduit celle-ci de l’ensemble, parvenir à la vérité par juxtaposition. Voilà la méthode qui a été tentée dans le présent ouvrage, en l’absence de sources impersonnelles.

« Il me semble que l’histoire a fait servir la Maison des Borgia de toile de fond sur laquelle peindre la licence effrénée qui régnait au xve et au xvie siècles. » (Ragguali, sulla vita di Marino Sanuto). Certains historiens décrivent les femmes de la Maison Borgia comme des « ménades porteuses de poison » ou des « bacchantes vénéfiques » ; les hommes, eux, sont dépeints comme des monstres totalement abominables. Hommes et femmes, ici, apparaissent comme des êtres d’une mauvaiseté parfaitement inaccessible à la nature humaine, parfaitement improbable même dans une nature kakodémoniaque. Mais d’autres historiens – qui appartiennent, chose curieuse, surtout à l’École française – nous montrent les mêmes Borgia comme des êtres innocents et immaculés, rayonnant d’une inconcevable vertu.

Aucun homme, depuis Adam, à l’exception d’Un Seul, n’a été entièrement bon. Aucun n’a été entièrement mauvais. La vérité sur les Borgia se trouve sans aucun doute entre ces deux extrêmes. On les accuse d’avoir eu une morale relâchée, de s’être livrés à des pratiques et à des distractions inconvenantes.

Soit. Et après ? Qui oserait les juger ? Des papes, des rois, des amants, des hommes de guerre, des hommes de l’intellect ne sauraient être jugés d’après le code mesquin, la norme rétrécie du journaliste, du concierge, ou du plombier et du mercier. Une proposition d’une injustice aussi indécente ne pouvait émaner que de gens qui espèrent obtenir quelque chose par comparaison.

Pourquoi les belles heures lumineuses du jour devraient-elles être traînées devant un tribunal par ceux-là mêmes qui, aujourd’hui, iront s’asseoir au banc des prévenus ? Pourquoi ne pas laisser le sort des Borgia à l’Ange qui tient le registre de tous nos actes ?

Un jour, nous saurons tout des Borgia ; dans l’intervalle, mieux vaut étudier avec franchise et ouverture cette époque de vive et vivace violence où « le Pape était un despote italien paré de quelques attributs sacerdotaux » ; et où « ce que Stuart Mill désirait dans son Essai sur la Liberté – et qui semble chaque jour plus inaccessible dans la vie moderne – était le bien commun de tous les Italiens : il n’y avait aucun frein à la croissance de la personnalité, et les hommes n’étaient point ravalés à la moyenne générale».

« Amorist, agonist, man, that, incessantly toiling and striving Snatches the glory of life only from love and from war » : telle est la formule qui exprime le mieux les Borgia. Car ils étaient aussi des êtres humains, des êtres aux prises avec la naissance, la lutte pour la vie, et la mort.

 

 

Dans ce sujet idéal qu’est la Maison des Borgia, il y a matière pour toute une équipe de spécialistes. L’auteur de ces lignes ne se targue d’aucun savoir particulier ; bien que ses recherches, assurément, l’aient mené dans telle direction plutôt que telle autre. Prisonnier de ses propres limitations, il ne prétend point avoir découvert des faits inédits ou frappants : mais il croit en toute humilité avoir réussi à jeter une lumière neuve et plus naturelle sur certains mythes et légendes, et avoir réordonné causes et événements selon une suite humainement plausible.

En traitant de certaines calomnies circonstancielles, il a adopté un système nouveau ; par exemple, dans le cas de personnes supposées avoir été élevées à la pourpre cardinale en récompense de services criminels. Il fournit ici la liste complète des personnes élevées à la pourpre, et quand les noms de ceux qui sont accusés de crimes n’y apparaissent pas, il considère ce fait comme une réfutation directe et positive de la calomnie en question.

En ce qui concerne les noms et les titres, il s’est efforcé de corriger les traductions négligentes et corrompues qui sont à présent en vogue. Évoquer des personnages en des termes qui conviendraient mieux à leur chien ou à leur esclave ; parler de souverains ou de pontifes comme s’il s’agissait de Pierre ou de Paul – voilà des manquements à l’étiquette d’une impardonnable grossièreté. L’auteur de ces lignes a du moins essayé d’accorder à ses personnages l’usage des noms et la courtoisie des titres qui étaient réellement les leurs.

En écrivant de la sorte, il a tenté d’épouser ses sautes d’humeur, en consonance avec le sujet de son étude, et de conserver quelque chose de cette inconstance souveraine, haletante et cavalière qui est le propre de la Nature. Car les hommes, à l’époque des Borgia, étaient très naturels.

On a parfois soutenu que le style d’un ouvrage historique doit être grave et majestueux ; et il doit en être ainsi quand l’Histoire est écrite de manière épique. Mais écrire sur des hommes et des femmes – des humains – de cette manière non humaine n’est qu’un crime contre nature ; aussi ridiculement incongru et inconsistant que de chanter le Miserere Mei Deus sur l’air de La Marseillaise. Car la nature humaine n’est point grave et majestueuse en toutes les époques ; étant humaine nature, elle a ses périodes pantouflardes et domestiques. Le but de cet ouvrage est de peindre les Borgia tels qu’ils furent réellement, pittoresques, vivants, et fort peu conventionnels ; non de les figer monumentalement dans des moules idéaux et héroïques, ou de les ciseler dans des effigies banales et méconnaissables.

L’auteur n’écrit pas dans le simple but de « blanchir » les Borgia ; son opinion actuelle étant d’ailleurs que la vilenie des hommes est telle qu’aucun mot ne peut l’exprimer.

En outre, il n’écrit pas pour défendre les intérêts de l’Église romaine ; ni ceux des Jésuites ; ni ceux d’aucun credo, d’aucune corporation ou d’aucun être humain. Mais seulement comme quelqu’un qui a déterré quelques tessons de savoir qu’il se voit obligé de vendre pour survivre

Il est superflu de dire qu’il n’est tenté dans ces pages ni de persuader, en l’absence de conseils qu’il eût désirés, a écrit ce qu’il a écrit « sauf correction ».