Dans mon dernier papier de 2017, j’expliquais que le cours de change du yen – la monnaie japonaise – était très sous-évalué, ce qui constituait une opportunité d’achat pour les épargnants français. Un certain nombre de lecteurs ont exprimé leur surprise à propos de cette affirmation et m’ont demandé de m’expliquer, ce que je fais bien volontiers tant cela va me permettre de préciser un certain nombre de concepts dont la compréhension est nécessaire à quiconque veut gérer son argent de façon convenable.
Commençons par le taux de change entre deux monnaies, par exemple le yen et le dollar. La première monnaie est celle du Japon, la deuxième celle des États-Unis. Comme ces deux pays commercent l’un avec l’autre, il faut que les Japonais puissent acheter des dollars et les Américains des yens avant que d’acheter ou de vendre des produits aux uns et aux autres. Il y a donc un marché où les offres et les demandes se rencontrent et où un prix est arrêté pour cet échange à ce moment-là, et ce prix s’appelle le taux de change. Depuis 1971 et la fin du dollar exchange standard, ce prix est variable et nous sommes dans ce que les spécialistes nomment des « changes flottants », ce qui veut dire que ce prix n’est pas fixe mais variable.
Regardons le cours du yen par rapport au dollar sur les trente dernières années.
En 1978, il fallait environ 250 Y pour acheter un dollar, aujourd’hui il en faut 113, c’est-à-dire beaucoup moins. Le yen est donc beaucoup monté par rapport au dollar depuis cette date.
Et pourtant je dis aujourd’hui que le yen est très sous-évalué par rapport au dollar, ce qui semble contre intuitif. C’est la que rentre en jeu une théorie économique qui s’appelle la théorie de la parité des pouvoirs d’achat et qui stipule que sur le long terme le taux de change entre deux pays s’ajuste toujours à la différence des taux d’inflation entre les deux pays, le pays ayant une inflation plus élevée voyant son taux de change baisser par rapport à celui qui a une inflation plus faible. Et cette théorie est l’une des rares qui ait toujours fonctionné à ma satisfaction.
Vérifions.
La ligne rouge représente le ratio entre inflation au Japon et inflation aux USA. Comme elle baisse structurellement, cela veut dire que l’inflation au Japon a été inférieure à l’inflation aux USA et que donc le yen devrait monter structurellement vis-à-vis du dollar, ce qui s’est produit.
Mais les marchés sont imparfaits et sujets à des foucades comme nous le savons tous. Parfois, ils sont en avance sur la réalité, parfois ils sont en retard et c’est ce qui offre à l’investisseur des possibilités de placements sans grands risques. Pour mesurer ces opportunités, il suffit de calculer la différence en pourcentage entre la ligne bleue- là où est le marché- et la ligne rouge, -là où il devrait être. C’est ce que je fais dans le graphique suivant.
CQFD.
Le yen est sous-évalué d’environ 30 % vis-à-vis du dollar US, ce qui est beaucoup.
La question suivante c’est bien entendu quels sont les effets économiques de cette sous-évaluation ?
La réponse est simple : les sociétés japonaises qui sont en concurrence avec des sociétés américaines vont leur tailler des croupières puisqu’elles sont beaucoup plus compétitives. La sous-évaluation du yen favorise les sociétés exportatrices japonaises au détriment des sociétés américaines. Par contre, le consommateur japonais est pénalisé puisqu’il ne peut pas acheter autant que son travail devrait le lui permettre de produits américains tandis que le consommateur américain peut continuer à vivre au-dessus de ses moyens.
Tout cela veut dire que le commerce extérieur japonais va voir ses surplus croître de plus en plus, l’inverse étant vrai pour le commerce extérieur américain. Et donc, dans le marché des changes, il va y avoir de plus en plus de dollars offerts et de moins en moins de yens, ce qui à terme fera monter le yen par rapport au dollar et nous retournerons comme toujours à la PPA.
Mais il n’y a pas que le dollar et le yen dans le monde.
Si je fais le calcul de la PPA entre le Japon et l’Allemagne cette fois ci, je trouve que le yen est sous-évalué par rapport à la devise allemande d’environ 25 %, ce qui historiquement est beaucoup.
Or le Japon et l’Allemagne offrent le même genre de produits au reste du monde : voitures, matériels de transport, machines-outils, robots, chimie fine, etc… et les produits japonais sont d’une qualité tout à fait comparable aux produits allemands.
Il est donc probable que l’industrie japonaise va commencer à « faire mal » à l’industrie allemande dont les marges pourraient être mises sous pression par l’extrême sous-évaluation du yen. Et c’est bien entendu pour cela que depuis plusieurs mois je recommande aux lecteurs de l’IDL de vendre leurs valeurs allemandes pour acheter des valeurs similaires au Japon. Ils vont gagner à la fois sur le cours de bourse (ce qui a bien commencé) et ensuite sur le taux de change. Quand tout cela aura eu lieu, alors il faudra vendre.
Mais nous avons bien le temps…
Un mot pour conclure sur l’Euro.
Comme le lecteur s’en rend compte, entre l’Italie et l’Allemagne, un ajustement de la différence de compétitivité par le taux de change n’est plus possible puisque celui-ci a était fixé pour toujours nous dit -on. Et donc la variable d’ajustement est les marges des sociétés qui ne cessent de monter en Allemagne et de baisser en Italie.
Et les pauvres sociétés italiennes (ou françaises) qui seraient en concurrence à la fois avec le Japon ET l’Allemagne vont aller au tapis, voilà qui est certain, à moins de sortir toutes leurs productions et de France et d’Italie, ce qu’elles s’efforcent de faire aussi vite qu’elles le peuvent.
Et il ne peut pas en être autrement.
Comme je ne cesse de le dire depuis le début : l’Euro va tuer l’Europe que j’aimais et c’est en bonne, en très bonne voie.