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Semer à son âge, passe encore, mais planter…

 

Comme chaque année, l’Institut des Libertés va interrompre ses publications de la mi-juillet au début de septembre, ce qui suffira à peine à recharger les petites cellules grises qui me servent de cerveau. Et comme je suis le plus vieux dans l’équipe, c’est chez moi que cela prend le plus de temps. Il faut au moins six semaines pour arriver à un résultat raisonnable Bref, me voilà à nouveau en Avignon, un chien à mes pieds, un verre de Châteauneuf du Pape blanc à la main, un cigare à la bouche, en train de réfléchir à la façon dont l’Institut des Libertés pourrait se rendre un peu plus utile dans l’année qui arrive que dans le passé.

Rien n’est décidé, mais voici mes pistes de réflexion.

Partons d’une constatation tout à fait évidente : nous vivons une période historique de recul de l’intelligence comme notre pays en a très peu compté dans son histoire, et cela vient de la confusion mortelle entre le crime et le péché, qui avait disparue depuis Abélard.

Je me permets de citer des extraits en italiques d’un article que j’avais publié il y a sept ans.

Abélard (1079- 1142) est resté dans l’histoire un peu pour les mauvaises raisons, ses amours avec la belle et savante Héloïse. On oublie que sa contribution au développement de la pensée occidentale fut considérable : formidable logicien, il mit en lumière une distinction fondamentale qui allait permettre, à terme, la séparation entre l’Église et l’État. 

Selon Abélard, il existait une distinction essentielle entre le crime et le péché. 

Le crime n’existait que s’il était reconnu par la loi. Nulla crimen sine lege  (pas de crime qui ne soit reconnu par la loi) disait déjà le droit Romain et il était, donc, du ressort de la puissance publique de le punir et de l’empêcher puisque tout crime est destructeur de l’ordre social. Le péché, en revanche, ressort de la morale privée et il revient à Dieu, et à Dieu seul, de le punir.  Chacun doit s’en repentir tout en essayant d’en corriger les effets par ses actions ultérieures. Il revient par conséquent à l’État de punir le crime, mais en aucun cas de sanctionner le péché. Aux yeux de la puissance publique, une action peut être un crime sans représenter un péché, tandis qu’un péché aux yeux de l’Église peut ne pas être du tout un délit aux yeux de la société.

Que le lecteur se souvienne, à cet égard, de la formule de François Mitterrand, mentionnant « la force injuste de la Loi ». Opposer la Loi à la Justice, c’est réintroduire au cœur de la démocratie la préférence pour une morale collective, voire une religion. 

Dans un état de droit, la « morale » n’existe pas. Seule existe la légalité. La Loi DOIT donc s’appliquer à tous également, la morale, elle, ne peut être qu’individuelle. Ce qui veut dire aussi que l’État ne peut pas et ne doit pas se servir du monopole de la violence légitime qui lui a été impartie pour faire triompher la conception de la morale que défendent ceux qui en ont pris le contrôle.

Et c’est là que les choses se gâtent.

Nous sommes en train d’abandonner ce principe, qui a pourtant été le socle de notre civilisation. De fait, pour moi, le débat n’est plus entre la gauche et la droite ou entre globalistes et nationalistes, mais entre ceux qui défendent la primauté de chaque individu à effectuer ses choix moraux au cas par cas, et ceux qui veulent imposer leur morale préfabriquée aux autres et ramener nos sociétés à une forme moderne de théocratie, les choix individuels étant prédéterminés par le credo d’une nouvelle religion, celle des Droits de l’Homme ou de l’Écologie (ce sont d’ailleurs les mêmes). Car la théocratie est antinomique à la démocratie, qui n’est PAS l’imposition de la volonté majoritaire à l’ensemble de la population (vous avez juridiquement tort puisque vous êtes minoritaires, Laignel, 1981) mais la protection des minorités contre la tyrannie majoritaire.

Les Droits de l’Homme, cela n’existe pas. Il n’existe que le Droit de chaque individu à effectuer ses choix librement dans la cadre de la Loi, qui ne peut se fonder sur la morale collective, puisque celle-ci n’existe pas. Ce qui suppose que la Société accepte comme nécessaire à son fonctionnement la dissension et la discorde. Pour un « honnête homme », la Vérité n’existe pas, mais on peut s’en rapprocher par la discussion entre gens de bonne compagnie. Voilà ce que voulait nous enseigner Socrate, voilà la cause première de l’émergence de cette civilisation qui est la nôtre.

Je suis rentré en France il y a trois ans, et je me suis depuis rendu compte avec horreur que la Classe Dirigeante (allant de Juppé à Fabius et trouvant sa fin dans tous les sens du terme avec Emmanuel Macron) avait comme projet de supprimer tout débat, puisqu’eux, ils SAVENT ce qui est bon et ce qui est juste. Pour arriver à leurs fins, en bons marxistes gramsciens qu’ils sont, ils ont pris le contrôle de l’Éducation et des Médias et depuis longtemps.

Et bien sûr, une véritable chappe de plomb est tombée sur notre pays et il faut bien le dire, sur beaucoup d’autres Et du coup, les idées que je défends, et qui me viennent du Christ, d’Abélard, de Thomas d’Aquin, de Montaigne et des Lumières anglo-saxonnes ne sont plus enseignées, tandis que ceux qui les portent ne sont plus invités nulle part dans les media. Donc la solution ne peut pas être politique puisque gagner les élections et laisser l’Éducation et les médias aux mains de ceux qu’il faut bien appeler nos ennemis, puisqu’ils veulent nous tuer, c’est garantir que nous perdrons encore et toujours. Ce qui veut dire qu’à’ l’IDL, à partir de Septembre nous allons concentrer nos efforts sur les media et sur l’éducation puisque c’est là que se joue la bataille.

Media

  • L’IDL va embaucher sans doute une ou deux personnes à temps plein à partir de Septembre pour augmenter un peu le contenu éditorial de l’IDL mais aussi pour organiser dans nos nouveaux bureaux qui devraient être à côté de la place Victor Hugo à Paris, un « Lieu » où chacun pourrait venir comploter à son aise en compagnie de ses amis, ou le cas échéant, en découvrir de nouveaux. Rien de durable ne se fait sans un lieu de ralliement. Dans cet endroit, le dernier étage sera consacré à la création d’un studio multi media qui pourra être prêtée (ou louée) à ceux qui auraient envie de participer à la création d’un endroit d’où nous pourrons parler tranquillement avec des gens avec lesquels nous ne serons pas obligatoirement d’accord, sans nous faire piéger, insulter ou ridiculiser
  • Déjà, avec Richard Détente, de Grand-Angle, nous sommes en train de mettre en boite des cours d’économie politique (et non de science économique, qui est une foutaise) et qui seront disponibles sur You Tube, où votre serviteur répondra aux questions sur ce qu’est la monnaie, d’où vient la croissance, quel est le rôle des différents joueurs (État, entrepreneurs, banques, épargnants, marchés[CG1] financiers etc.). Deux « cours » sont prêts, d’autres suivront, une dizaine au total.
  • Avec d’autres sites, d’autres « amis » nous organiserons des débats entre ceux que j’appelle les gens de bonne volonté, qui seront aussi mis au fur et à mesure à la disposition de ceux que cela intéresserait.

Le but de tout cet effort sera de montrer qu’il n’existe d’idées, comme le disait Popper, que chez ceux qui sont prêts à les soumettre à la critique et au débat contradictoire. Ce qui revient à dire que ce qui caractérise ceux qui dominent le monde intellectuel d’aujourd’hui, c’est tout simplement le manque total d’idées.

Enseignement.

On ne peut pas reformer l’éducation nationale, mais on peut la contourner. C’est ce que font avec beaucoup de talent nos amis de l’Institut de formation politique ou IFP, dirigé par Alexandre Pesey. L’IFP entend bien multiplier les formations s’adressant à ceux qui veulent intervenir dans la vie de la Cité, aider les journalistes à redevenir des hommes libres, se consacrer à des activités associatives ou humanitaires. L’IDL a bien l’intention de continuer à l’IFP, car l’IFP est l’une des seules entités dont nos ennemis peuvent craindre le développement.

En conclusion, mon but, qui n’a rien de modeste, est de partir de la réalité ultime que le futur appartiendra toujours aux minorités et jamais aux majorités. Et que pour que ces minorités puissent agir pour le bien commun, il leur faut d’abord être formées, et ensuite être informées, et que cela ne peut se faire que dans le doute et la contradiction.

Le seul problème que j’entrevois est que si cela commence à bien marcher, alors mes ressources n’y suffiront pas. C’est un problème que j’espère avoir assez vite et dans ce cas, je ne manquerai pas de vous le faire savoir, pour que nous le résolvions tous ensemble.

Bonnes vacances et rendez-vous au premier lundi de Septembre.

Charles Gave