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Souverainiste et contre l’euro, partisan du libre échange et contre l’État stratège, libéral je suis

21 septembre 2020

J’ai un problème : je suis souverainiste et contre l’État stratège mais aussi contre l’Euro, et partisan du libre-échange. A mon avis, il doit y avoir un seul économiste en France qui soutient cette position et c’est moi, mais être tout seul ne m’a jamais gêné, et plus je vieillis et plus je comprends la phrase d’une grande tante qui a eu beaucoup d’influence sur ma jeunesse : ‘’Plus je me vois et plus je me désole, mais plus je vois les autres et plus je me console ». Il est cependant tout à fait certain que je suis né dans le mauvais pays puisque la classe intellectuelle française préfère avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron, et c’est, sans doute aucun, la cause des malheurs actuels de notre pays.

Pour expliquer ma position, je vais simplement comparer deux pays européens, la Suède et l’Italie. Bien entendu, j’aurais pu choisir la France et la Suède, mais les statistiques financières françaises sont terriblement brouillées par l’existence en France de très grandes multinationales de taille mondiale qui ont réussi à se libérer de l’emprise de l’État français et qui sont donc un témoignage de ce que pourrait faire le reste du pays si les politiques cessaient enfin de nos emmerder (« Mais cessez d’emmerder les Français »,  comme le disait Pompidou à Chirac) et donc la comparaison serait faussée. Ce n’est pas le cas en Italie. Les deux pays, Italie et Suède, sont en Europe, font partie du marché commun, subissent les mêmes réglementations et avaient jusqu’à l’an 2000 des performances économiques et boursières similaires. A partir de cette date, les deux pays divergent massivement. La question est : pourquoi ? La réponse est simple : l’un fait partie de l’Euro, l’autre pas. Mon but est de montrer qu’en Suède, tout va bien, et qu’en Italie, tout va mal, et d’expliquer qu’il ne pouvait pas en être autrement.

Commençons par un peu d’histoire. En 1992, après la réunification allemande et après que la Bundesbank ait fait monter les taux sur les obligations d’État allemandes à 7 % réels à la suite de la conversion d’un Ost Mark pour un Deutch Mark, Italie et Suède, qui faisaient partie tous les deux du SME, sont expulsés (Georges Soros à la manœuvre) du serpent monétaire, l’ancêtre de l’Euro, et se retrouvent avec des taux de change flottant librement.

L’Italie réussit à rejoindre l’Euro quelques années plus tard, en maquillant ses comptes sous la conduite de Draghi, alors directeur général du ministère des Finances Italien, tandis que la Suède demanda au peuple, à l’occasion d’un référendum en 2003, s’il fallait y aller, et à la stupéfaction générale, le peuple suédois répondit non.

Voyons les résultats et commençons par une constatation. Avant l’arrivée de l’Euro, les deux pays avaient une croissance économique similaire comme en fait foi le premier graphique. Depuis les deux économies ont divergé comme jamais dans leur histoire.

 

Le PIB Italien est en baisse de 6 % depuis l’an 2000, alors que le PIB Suédois est en hausse de 43.5 %, alors même que dans les 25 ans qui précédaient  2000, les deux pays avaient connu exactement la même croissance. Apparemment, une météorite est tombée en 2000 sur la péninsule italienne et a détruit toute possibilité de croissance, et cette catastrophe, c’est bien entendu l’introduction de l’Euro comme monnaie en Italie.

Et voici pourquoi.

Pour qu’il y ait croissance dans un pays, il faut que trois individus travaillent harmonieusement ensemble et ces trois personnes sont l’épargnant (ou rentier), le banquier et l’entrepreneur.

  • Tout commence avec l’épargne du rentier que celui-ci dépose à la banque et pour laquelle il est rémunéré à un taux que j’appellerai le taux de « marché » ou tm par le banquier.
  • Disposant de cette épargne, le banquier doit en faire quelque chose et va voir son copain avec qui il joue au golf, l’entrepreneur, pour lui prêter cet argent.
  • L’entrepreneur, qui a toujours besoin d’argent, emprunte pour investir dans ses usines et il s’endette à un taux qui sera supérieur au taux de marché mais égal ou inférieur à la rentabilité du capital qu’il espère sur ses investissements, et appelons ce taux le taux « naturel » ou tn.

Donc, le rentier touche le taux de marché, l’entrepreneur lui espère gagner le taux naturel, le banquier touche la différence entre les deux et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme le disait Pangloss. Tout est pour le mieux certes… à condition que le taux naturel ne passe pas en dessous du taux de marché, parce qu’alors là, c’est la catastrophe. Une économie en effet ne peut pas croitre si le coût du capital est supérieur à la rentabilité du capital, ce qui est une évidence.

Si le banquier emprunte à 5 % et prête à des gens qui ne vont pas gagner 7% comme espéré, mais 3 %, sa banque va sauter puisque tous les prêts qu’il a consentis ne pourront être remboursés par les entrepreneurs qui feront faillite avant lui. Donc, dans un pays, si l’on a tn < tm l’économie se viande, les entrepreneurs déposent le bilan, chômage et deficits budgétaires explosent tandis que les banques font faillite les unes après les autres, et c’est exactement ce que nous avons eu en Italie depuis l’arrivée de l’Euro et que nous n’avons pas eu en Suède. Vérifions en comparant le cours de bourse des banques suédoises et italiennes depuis la chute de la météorite en 2000.

Le malheureux actionnaire des banques italiennes a perdu 57 % de son capital en 20 ans, tandis que l’heureux actionnaire des banques suédoises a vu son capital multiplié par 3. 6 pendant la même période, ce qui correspond à peu près à 10 % par an, ce qui est bien.

Allons plus loin : si les banques italiennes se sont ratatinées et si les banques suédoises ont eu une performance honorable, cela ne peut venir que d’un seul fait : la rentabilité des entrepreneurs italiens s’est effondrée tandis que celle de leurs confrères suédois s’est maintenue.  Les premiers n’ont pu ni servir ni rembourser la dette, tandis que les seconds n’ont eu aucun problème. Vérifions en commençant par comparer les indices des bourses italienne et suédoise, puisque le rôle des bourses est de mesurer la rentabilité marginale du capital investi.

A partir de 2010, les marchés se sont rendus compte que la rentabilité du capital investi s’était effondrée en Italie, ce que confirme le dernier graphique qui, lui, mesure la rentabilité du capital investi dans les deux pays.

Comme on pouvait s’y attendre, la marge brute en Italie a fortement baissé contre un PIB qui lui-même baissait (voir le premier graphique) tandis qu’elle restait stable en Suède, par rapport à un PIB qui montait.

Conclusion : pourquoi l’euro est la cause du désastre.

Imaginons trois entreprises en concurrence, la première, qui s’appellerait Ital, la deuxième Nordquist sa et la dernière Germa sa. Postulons qu’en 2000, elles pouvaient vendre toutes les trois leurs produits à 100. Et supposons que dans les deux premières la productivité du travail ne croisse pas, tandis que dans la troisième elle croit de 3 % par an. En 2001, Germa peut abaisser son prix mettons à 98.5 % si le cout du travail représente 50 % de ses dépenses tandis qu’Ital ne peut pas le faire. Si Germa baisse son prix, Ital est obligée de suivre, mais du coup sa marge de profit baisse, et ainsi de suite. Arrive toujours un moment où une baisse des prix initiée par Germa, si elle est suivie par Ital, forcerait Ital à produire à perte. Et du coup Ital se met à perdre des parts de marché et doit licencier. Et les profits ayant disparu, Ital ne peut plus investir, ne peut plus rembourser ses dettes et la faillite est inéluctable. Par contre, Nordquist a la chance de voir sa monnaie baisser contre celle de Germa et reste du coup compétitif malgré la différence de productivité. La baisse de la couronne compense la différence de productivité. A la fin Ital se fait massacrer non seulement par Germa mais par Nordquist et c’est ce que montre le dernier graphique.

 

Et donc ceux qui disent que les problèmes de l’Italie sont causées par le libre-échange disent une énorme bêtise en parlant de sujets auxquels ils ne comprennent à l’évidence pas grand-chose. Le libre échange n’a causé aucun problème à la Suède parce que le taux de change était flottant.  Et ceux qui rajoutent qu’un « État stratège » serait capable d’investir dans les secteurs en Italie où la productivité du travail serait supérieure à la productivité allemande ont dû rencontrer des fonctionnaires capables de prendre des risques de façon fructueuse avec de l’argent qui ne leur appartient pas. Quant à moi, considérant les exemples de Tchuruk, Anne Lauvergeon, Haberer, Trichet… j’ai des doutes… sérieux, dans la mesure où tous ces génies ont été et sont encore des partisans forcenés de l’Euro, ce qui prouve qu’ils ne comprennent rien ni à l’économie ni aux affaires. Le problème vient donc tout simplement du fait que les sur-éduqués qui nous gouvernent ont collé des taux de change fixes entre des économies qui avaient des productivités du travail différentes, espérant sans doute que les Italiens, les Français ou les Grecs deviendraient Allemands, ce qui ne me parait pas souhaitable, tant ce qui fait la force de l’Europe a toujours été son extraordinaire diversité.  Et donc, j’étais, je suis et je resterai souverainiste et contre l’Euro et pour des taux de change déterminés par le marché, pour le libre-échange, et contre l’État stratège dont chacun a pu mesurer les triomphes en URSS ou en Corée du Nord, au Venezuela, à Cuba, en Argentine… la liste est infinie. C’est la seule position intelligente, mais comme elle enlève tout pouvoir aux énarques, hommes de Davos et autres oints du Seigneur, c’est sans doute celle qui a les plus faibles chances d’être adoptée, en France tout au moins. Mais comme le dit le proverbe : « Celui qui a raison 24 heures avant les autres passe pour un fou pendant 24 heures » Je préfère passer pour un fou que me rendre compte que j’ai été idiot, comme les Français avec la ligne Maginot en 1940.