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TRUMP : vers l’isolationnisme impérialiste

par Philippe Fabry

Dans mon précédent billet, j’évoquais rapidement ce que l’élection de Trump va vraisemblablement signifier pour la démocratie américaine et les institutions des Etats-Unis.

Après les conséquences intérieures, je voudrais à présent lancer quelques idées sur les conséquences de cette élection et l’arrivée au pouvoir de Donald J. Trump sur la politique étrangère américaine.

Et mon premier mot sera pour réfuter de la manière la plus absolue le mythe de « l’isolationnisme » de Donald Trump et du mouvement qui l’a porté.

En effet, l’on entend beaucoup dans les médias, qui jusqu’ici ont déjà si mal analysé le phénomène, l’idée que l’Amérique serait à la veille d’une nouvelle période d’isolationnisme, que l’Amérique va se retirer d’Europe, d’Asie, bref de partout et ne plus s’intéresser qu’à elle-même, en laissant notamment messieurs Xi et Poutine faire leurs petites affaires sans être inquiétés.

Il y a plusieurs points à préciser : d’abord, il faut expliquer ce qu’est l’isolationnisme américain, parce que visiblement la plupart des gens emploient ce mot sans savoir ce qu’il recouvre vraiment ; ensuite, je m’occuperai de rappeler les positions déclarées par Donald Trump lui-même, qui ne vont pas du tout dans le sens que l’on dit, et enfin j’expliquerai, au vu de tout cela, à quoi il faut s’attendre.

I – L’isolationnisme à l’américaine

C’est un sujet que j’avais déjà évoqué ici il y a trois ans. Je me contenterai donc de reprendre ce que j’ai déjà écrit :

« les Etats-Unis ne seront pas du genre à se coucher. Jamais. Il font partie de ces quelques nations de l’Histoire, je l’ai déjà évoqué, qui ne conçoivent tout simplement pas la multipolarité. Rome était l’une d’entre elles, comme l’explique remarquablement Paul Veyne dans un article disponible en ligne intitulé Y a-t-il eu un impérialisme romain ?  Je recommande vivement la lecture de cet article, car la description de la mentalité romaine en matière de politique internationale est étonnamment évocatrice de  celle de l’Amérique.

En effet pour les Etats-Unis, comme jadis pour Rome, il n’y a que deux possibilités acceptables : être seul, ou être le maître. Être seul fut la première doctrine géopolitique américaine, la doctrine Monroe, établie en 1823, qui voulait interdire toute intervention européenne sur le continent américain, qui serait considérée comme une agression par la jeune puissance. La contrepartie de cette doctrine géopolitique était que les Etats-Unis demeureraient neutres vis-à-vis de l’Europe et se garderaient d’intervenir dans ses propres affaires.

Mais durant la deuxième moitié du XIXe siècle s’épanouit la « première mondialisation » qui fit apparaître clairement à l’Amérique ce fait qu’elle ne pourrait pas demeurer ainsi seule, isolée entre ses deux océans. Vint donc le « Corollaire Roosevelt » à la doctrine Monroe, qui fit pratiquement dire à celle-ci l’inverse de ce qu’elle disait jusqu’à présent : désormais les Etats-Unis s’estimeraient fondés à intervenir hors d’Amérique partout où leurs intérêts seraient menacés. Ne pouvant être seule, l’Amérique devait être hégémonique. Par le discours de Roosevelt,  en 1904, les USA s’autoproclamaient gendarmes du monde. A aucun moment de son histoire, depuis son indépendance, l’Amérique ne s’est perçue comme une nation parmi d’autres.

Cette mentalité, précisément, vient de l’Indépendance : pour le peuple américain, connaître à nouveau la dépendance envers une puissance étrangère serait quelque chose d’équivalent à la mort et, en définitive, le seul moyen de n’être dépendant de personne, faute d’être isolé de tous, est d’être un suzerain universel. »

A cela je n’enlèverai pas une ligne. J’ajouterai simplement, pour enfoncer le clou, que l’isolationnisme américain ne signifie plus le repli sur soi depuis 1941 : l’attaque sur Pearl Harbor et la déclaration de guerre nazie ont achevé de prouver aux Américains que même si l’on cherche à éviter les affaires du monde, elles vous happent. La solution restante est donc de contrôler le monde.

Aujourd’hui l’isolationnisme américain n’implique pas un repli sur soi, mais une recherche de l’unipolarité totale : le discours de Donald Trump tend à dire que l’Amérique fera désormais ce qu’elle voudra, où elle voudra, dans son intérêt, et ne sera plus la bonne poire. Il y a en cela une rupture : il s’évince du discours de Trump que l’Amérique sera désormais beaucoup moins accomodante, et beaucoup plus unilatérale.

II – Ce qu’a vraiment dit Trump

Contrairement à ce qui a été dit et bêtement répété, il n’y a rien dans le discours de Trump qui laisse penser que celui-ci veuille opérer un retrait américain du monde, ni à la mise en place d’une politique non-interventionniste. Il s’agit seulement de corriger les axes et la doctrine d’intervention (pour se faire une idée sur ces sujets, on peut notamment se reporter, comme synthèse, à cette vidéo qui montre des extraits sous-titrés de ses discours).

– A propos de Poutine, dès son discours de déclaration de candidature à la présidence des Etats-Unis, il a évoqué le fait que la Russie était un rival des USA qui surveillait la capacité militaire, notamment nucléaire, américaine et qu’il fallait maintenir la supériorité. De même pour la Chine. A aucun moment Trump n’a envisagé de simplement laisser le champ libre à la Russie ou à la Chine. Lorsqu’il parle « favorablement » de la Russie, notamment dans la lutte contre Daech, c’est en soulignant que les bombes coûtent cher et qu’à ce compte-là, autant laisser les Russes larguer les leurs, cela fera toujours ça de moins à payer pour les USA : pour Trump il est question d’utiliser Poutine, pas de s’y soumettre ou de lui faire des concessions aux dépens des Etats-Unis.

– A propos du monde musulman, les termes dans lesquels Trump critique l’intervention en Irak sont de la même eau : il insiste sur le fait que jusque-là les USA avaient toujours su jouer la rivalité Iran-Irak, deux pays de puissance équivalente, et que détruire l’un des deux était à coup sûr renforcer l’autre – ce que l’on a vu, d’ailleurs. Là encore, donc, son idée n’est pas du tout que les Etats-Unis devraient se replier et ne plus intervenir, mais intervenir plus intelligemment et, il faut l’avouer, avec moins d’idéalisme démocratique et plus de pragmatisme, voire d’égocentrisme, national. C’est en ce sens, d’ailleurs, qu’il remarquait que quitte à être allés en Irak et de s’en retirer, il fallait le faire en gardant la main sur le pétrole : presque du pur impérialisme, mais l’on ne peut contester que si les USA avaient gardé la main sur le pétrole, Daech n’en aurait pas profité et aurait eu plus de mal à s’installer, à recruter et donc à durer.

– A propos de l’OTAN comme de l’Asie, Trump ne parle pas de purement laisser tomber les alliés, mais essentiellement de les faire payer : son idée est que la Pax Americana est chargée de nombreux passagers clandestins qui profitent des lourds investissements américains dans la défense et la sécurisation des voies de communication sans payer leur juste part. A ceux-là il dit « payez, ou débrouillez-vous ». Evidemment, cela fait trembler les classes politiques européennes, qui ont profité du parapluie américain pour diminuer les budgets de défense afin d’utiliser l’argent pour financer des mesures clientélistes. Cette réaction de l’Amérique de Trump, qui est d’ailleurs dans la continuité de ce que George W. Bush avait déjà évoqué en 2000, est aussi la conséquence de ce qu’avec l’avènement de l’euro, l’Europe a en grande partie cessé de financer les dépenses américaines via le privilège du dollar. Les Etats-Unis ont continué à être aussi dispendieux, mais commencent à se dire que cela suffit.

– Enfin, le discours qu’il a tenu sur les généraux « médiatiques » américains est éloquent : il les accuse d’être des faibles tremblant devant les soldats amateurs en guenilles de l’Etat islamique, et dit que McArthur et Patton doivent se retourner dans leurs tombes. Se référer aux deux généraux les plus célèbres et les plus durs de l’histoire américaine du XXe siècle, impliqués dans les plus importantes opérations extérieures des Etats-Unis (Seconde guerre mondiale, guerre de Corée…) n’est pas un discours isolationniste au sens où l’ententendent couramment les gens.

En réalité, ce qui ressort du discours de Trump sur la politique internationale, ce n’est pas un désengagement des Etats-Unis, c’est le refus d’un interventionnisme miteux, coûteux, non rentable, et émaillé de reculades ou de demies-défaites.

 

III – A quoi s’attendre ?

Ainsi donc, « l’isolationnisme » moderne américain est devenu synonyme d’unipolarité, et non pas de non-interventionnisme, mais d’interventionnisme plus centré sur les propres intérêts américains que sur l’intérêt collectif.

C’est également ce qui ressort des discours de Donald J. Trump pour ce qui est de la politique internationale.

Ainsi donc, il ne faut pas s’attendre à un repli américain, mais certainement à un changement de ton : un discours beaucoup plus directif et moins consensuel vis-à-vis des alliés, et un ton accomodant avec les adversaires de l’Amérique, comme Poutine, uniquement dans la mesure où ils feront preuve de respect des intérêts américains.

L’élection de Donald Trump ne signifiera pas un retrait américain, mais au contraire l’accentuation de l’hégémonie américaine, qu’on se le dise. C’est l’affirmation d’une Amérique qui maintient son rôle impérial mais refuse de l’exercer en étant le dindon de la farce. Le mouvement, désormais, va au-delà du Niet de Reagan aux soviétiques, c’est un basculement équivalent à celui de l’ère Roosevelt : Donald Trump continuera de porter un gros bâton, mais en plus, il parlera fort.