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Israël/Hamas : le reste du monde assistera sans pleurer à la chute finale de l’Occident

par Edouard Husson

Le courrier des stratèges

Nous avons parlé, depuis quatre jours, de la guerre atroce qui est menée par les deux parties. Nous avons posé la question, au Courrier des Stratèges, d’un emballement débouchant sur un conflit majeur. Mais il ne faut pas exclure un autre scénario. Celui d’une spirale suicidaire mais purement occidentale, que le reste du monde laisserait faire, pour mettre définitivement hors jeu ceux qui empêchent la paix et la prospérité du monde. Après tout, le reste du monde pourrait se contenter de regarder Israël s’engager dans une guerre sans fin contre le terrorisme ; l’Union Européenne démontrer définitivement son double standard moral ; et les États-Unis livrer leur dernier combat impérial, en épuisant définitivement leurs stocks d’armes…. En tout cas, depuis quatre jours, Turquie, Russie, Iran, Arabie Saoudite, Egypte, Chine font preuve d’une retenue étonnante….

Depuis quatre jours, on voir Vladimir Zelenski se débattre comme un beau diable pour essayer de reculer l’inéluctable: la nouvelle guerre du Kippour va accélérer la fin de la guerre d’Ukraine.

La cruelle réalité apparaît: s’ils veulent soutenir en quoi que ce soit Israël, les États-Unis et leurs alliés doivent lâcher l’Ukraine. Après les rodomontades de l’été 2022 dans le détroit de Taïwan, voici la vérité des prix: non seulement les États-Unis ne peuvent mener qu’une “guerre par procuration ” à la fois; mais ils portent malheur à tous leurs alliés.

A voir l’absence d’engrenage vers un conflit élargi, on commence à comprendre que le reste des parties prenantes dans la région met Israël devant ses responsabilités : soit l’État hébreu rentre dans le jeu complexe mais gratifiant d’une diplomatie d’équilibre, qui à terme procurerait une paix durable à la région; soit le gouvernement Netanyahou – éventuellement élargi – s’enfonce dans l’illusion d’une “guerre pour éradiquer le terrorisme”, avec le soutien des USA et de l’Union Européenne.

Dans dernier cas, malheureusement le plus probable, prenons le pari que le reste du monde regardera sans éprouver aucune pitié, le piège se refermer sur ceux qui y auront sauté volontairement.

La guerre d’Ukraine pourrait finir plus vite que prévu

Vladimir Zelenski essaie touts les arguments, tant il a conscience que son heure est passée dans la monde occidental. Il a même proposé, ce mercredi 11 octobre, de faire une visite en Israël pour marquer son soutien. Lui qui, il y a quelques jours encore, protestait bruyamment parce qu’Israël ne le soutenait pas dans la guerre d’Ukraine.

Au Congrès, le gouvernement Biden a essayé de pousser l’idée qu’il faudrait voter un double paquet d’aide, à la fois à l’Ukraine et à Israël. Mais les Républicains ne marchent pas dans la manœuvre.

Nous y reviendrons demain dans notre compte-rendu hebdomadaire du conflit ukrainien: l’armée russe est en train d’intensifier ses frappes d’artillerie et de commencer à prendre en tenailles l’armée ukrainienne dans la région de Donetsk. Certains analystes sont étonnés de la puissance de feu soudain déployée par les Russes et y voient le prélude à une nouvelle « contre-offensive », russe cette fois.

On sent l’armée ukrainienne sur un point de rupture depuis plusieurs semaines. Il ne serait pas étonnant que le tarissement de l’aide financière et militaire occidentale précipitât le dénouement.

Les États-Unis portent malheur à leurs alliés

Pour défendre Israël, les États-Unis n’auront aucun scrupule à lâcher l’Ukraine. Comme ils n’avaient eu aucun problème à abandonner l’Afghanistan avant de s’investir en Ukraine. Et l’on fera remarquer à juste titre que par la même occasion, les USA cessent de donner la priorité à Taïwan, qu’ils ont impliquée dans une tension croissante avec la Chine depuis l’été 2022.

C’est une constante depuis toujours : les États-Unis sont venues soutenir la France et la Grande-Bretagne pendant la Première Guerre mondiale, avant de les laisser seules pour mettre en œuvre la paix de Versailles. Ils ont promis monts et merveilles à l’Europe de l’Est, avant de l’abandonner quarante ans dans les mains soviétiques. Les USA ont lâché le Sud-Vietnam, abandonné le Cambodge aux Khmers Rouges et le Laos à une autre guérilla communiste. Plus récemment, ils ont montré qu’ils étaient disposés à détruire l’économie de l’Union Européenne plutôt que de passer un compromis avec la Russie etc….

A présent, le gouvernement de Joe Biden fait savoir qu’il défendra dans tous les cas Israël. Les États-Unis peuvent le faire en abandonnant les autres fronts. Et la question se pose de savoir s’ils soutiendront vraiment Israël en cas de difficultés croissantes.

On entend les déclarations se multiplier du côté israélien, sur la nécessité d’exterminer les terroristes et de garantir durablement la sécurité d’Israël. mais que se passera-t-il si l’armé israélienne s’enfonce dans une guerre apparemment sans fin avec une guérilla urbaine efficace? Pourquoi les USA ne lâcheraient-ils pas Israël comme ils lâchent tous leurs « plus fidèles alliés » depuis des décennies? A chaque fois après les avoir entraînés dans un désastre.

Les puissances immobiles

Je suis pour ma part frappé de voir, depuis samedi, l’extrême retenue de la plupart des pays sauf les USA et les membres de l’Union Européenne.

On entend Erdogan se moquer des Israéliens en se demandant si Tel Aviv est à la tête d’un État (responsable) ou d’une « organisation » (incontrôlable?). Vladimir Poutine répète qu’il n’y a qu’un chemin pour la paix, le respect des résolutions de l’ONU, en particulier la création d’un État palestinien. L’Égypte se contente de faire savoir qu’elle avait prévenu Netanyahou d’une attaque imminente. La Chine se tient sur la réserve. Quant à l’Iran; son allié libanais le Hezbollah n’est pas encore allé au-delà d’une menace d’intervention.

Tout se passe comme si le reste du monde voulait indiquer à Israël qu’il y a deux chemins possibles: soit l’acceptation du compromis et d’un équilibre des forces complexe, qui inclura forcément des pilules amères: l’acceptation de la coexistence avec la Syrie, avec l’Iran; et celle d’un État palestinien souverain. Soit la tentative illusoire d’une « éradication du terrorisme », qui sera la réplique en petit de ce que les Américains ont manqué, à grande échelle, en Mésopotamie et en Afghanistan.

Au moment où nous en parlons, malheureusement, Israël semble choisir cette seconde voie, tant les déclarations belliqueuses se sont multipliées aujourd’hui 11 octobre.

Plus efficace que vitrifier l’Occident : le laisser aller au bout de sa spirale suicidaire?
L’attitude du reste du monde fait penser à l’attitude russe dans la guerre d’Ukraine. Peu bouger, attendre que l’adversaire gaspille inutilement ses ressources. Le laisser se déconsidérer à la face du monde.

Au fond, si les Israéliens veulent mener une guerre, sur le territoire de Gaza, dont le monde entier – sauf le reste de l’Occident – réprouvera les brutalités. Cela accélère la chute de l’Occident et permettra l’inauguration d’une période de paix et de prospérité.

Les pays de l’Union Européenne, la Grande-Bretagne, les États-Unis, ne se rendent même pas compte qu’ils vont étaler, une fois de plus, leur mépris de l’universalité éthique. Quand les Russes bombardent en Ukraine, c’est, sans un examen, un crime de guerre. Quand ce sont les Israéliens qui larguent des bombes à Gaza , c’est de la légitime défense.

En Ukraine, il se dit qu’au moins 300 000 soldats ukrainiens sont morts au combat. Dans le cas de Gaza, combien faudra-t-il de morts israéliens et palestiniens pour que l’Occident cesse son jeu mortifère?

On conçoit bien l’intérêt de la Russie ou de l’Iran à procéder ainsi: soit les États occidentaux se mettent au diapason du monde; soit on fera sans eux. C’est moins destructeur mais plus efficace que de lâcher ds bombes sur un adversaire: le laisser se déconsidérer; que plus personne ne puisse le prendre au sérieux.

S’il le faut, le reste du monde assistera sans aucune pitié à la chute finale de l’Occident. Si le prix à payer pour la paix du monde, c’est de voir l’Occident succomber au nouveau choc pétrolier qu’il aura lui-même provoqué; voir l’Union Européenne et les États-Unis s’enfoncer dans une crise économique, financière, stratégique, dont ils seront les premiers responsables, le jeu peut en valoir la chandelle, du point de vue de la Russie, de la Chine et de leurs alliés. Sans oublier, la garantie à la paix mondiale que procurerait un Occident ayant épuisé tous ses stocks d’armes.