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Comment la CGT est devenue l’antichambre du macronisme…

par Éric Verhaeghe le Courrier des stratèges 18 juin 2025

Bien sûr, et officiellement, la CGT est un syndicat contestataire, plus ou moins anti-capitaliste (plus personne ne sait exactement ce que cela signifie), allergique à plein de choses que les macronistes adorent, etc. Et puis il y a la réalité profonde : celle qui dépasse la comédie du pouvoir et qui touche aux racines de la caste et de son système de domination. Il est important ici d’en montrer les connexions, et même les connivences, pour illustrer ce que nous pourrions appeler la soviétisation rampante du capitalisme français dans l’intérêt bien compris de quelques hiérarques cégétistes… et de nombreux hiérarques normies ! A commencer par les conflits d’intérêt de Marc Ferracci, témoin de mariage de Macron et ministre de l’Industrie. Sommes-nous sûrs qu’il n’existe pas aujourd’hui une grande mafia, qui commence du délégué CGT local qui veut éviter des licenciements dans son usine, jusqu’au sommet de l’Etat où sauver une usine se fait moyennant quelques arrangements ou quelques « commissions » qui pourraient ressembler de façon gênante à de la corruption mafieuse ? La mafia à bas bruit serait-elle le substrat final du macronisme ?

Officiellement, bien entendu, il y a les gentils de gauche, d’un côté, attachés à la « sociale », et les méchants de droite, individualistes qui défendent le profit. Bien sûr ! Ce clivage binaire, même s’il a perdu de sa superbe ses dernières années, a gardé des accents de vérité auprès de nombreux gogos qui continuent à croire au théâtre d’ombre que la caste projette sur le débat public pour hypnotiser et manipuler le petit peuple. Tout le problème est que, à force d’entre-soi et d’endogamie, les acteurs de ce théâtre peinent de plus en plus à faire illusion.

Dans cette imagerie palissante d’Epinal, le jeu des Ferracci paraît de plus en plus emblématique de ce que notre République compte de moribond, de malsain, de « pourri » au sens shakespearien du terme. Non que l’on trouve ici, de façon manifeste, des inégalités qui justifieraient des procès. Mais c’est la privatisation assumée de l’intérêt général qui, ici, dégoûte. Cette façon très parvenue de nous prendre pour des idiots, et de nous faire croire que nous devrions être dupes du jeu qui se joue.

Acte I : l’enrichissement de Pierre Ferracci
Initialement, il était un petit Pierre Ferracci, né en 1952, héritier de la résistance communiste corse. Sa seule évocation donne envie de pleurer (et nous passerons ici sur les nombreux faits d’arme politiques et sociaux du personnage). Fils de la plus grande figure de la résistance communiste corse (je renvoie ici chacun à sa compréhension de l’expression…), le petit Pierre s’enrichit dans l’expertise comptable et le conseil aux entreprises tels qu’ils peuvent être conçus en Corse.

Autrement dit, Pierre Ferracci crée le groupe Alpha et le groupe Secafi pour conseiller ses amis communistes et, au premier chef, ses amis de la CGT. Quand un plan social se dessine à l’horizon, le délégué CGT a l’habitude d’appeler Secafi et Alpha pour acheter une expertise qui permet de négocier de bonnes « mesures d’accompagnement » face aux patrons. Vu les chiffres de la désindustrialisation en France depuis 40 ans, le marché est très porteur.

Il explique que, selon les déclarations officielles, le groupe soit valorisé à environ 75 millions € (chiffre probablement sous-estimé).

Acte II : les Ferracci, ou comment parvenir ?
Dans cette formidable ascension directement due au déclin économique français depuis 1975, les Ferracci vont devenir l’un des meilleurs symboles des parvenus post-soixante-huitards.

Il y a notamment l’affaire de la villa corse de Pierre, dont son fils Marc est actionnaire (nous allons y revenir). Mais il y a aussi l’achat du Paris Football Club, revendu en début d’année à la famille Arnault, comme nous l’avons signalé. Dans le microcosme parisien, Pierre n’est plus seulement un habile marchand qui s’est enrichi grâce à la CGT. Il devient une figure politique et sociale qui compte et qui impressionne.

Parmi les éléments de sa puissance, on trouve son fils Marc, énarque, témoin de mariage de Macron, député marcheur, puis ministre de l’Industrie. Nous avons largement détaillé ses affaires patrimoniales dans notre papier dédié. Il incarne le capitalisme de connivence contemporain : entre sa carrière public et son enrichissement personnel, il est à peu près impossible de faire le distingo.

Acte III : de la CGT au macronisme, il n’y a qu’un pas
Dans cet ensemble, une question se pose : celle de la distance qui sépare l’apparence contestataire de la CGT, et sa réalité « systémique ».

D’un côté, il y a les discours « grandes gueules » dénonçant les profits du grand capital, et autres éléments de langage controuvés. La retraite à 60 ans, les acquis sociaux, les nouveaux droits, les nouvelles protections, etc.

D’un autre côté, il y a une réalité plus confondante : ceux qui ont accompagné les plans sociaux sous l’étiquette CGT depuis quarante ans, ont gagné beaucoup d’argent. Jusqu’à, par exemple, bâtir des villas de rêve en Corse, sous l’étiquette SCI Tour de Sponsaglia, au coeur d’une série judiciaire digne de Netflix. Reste que l’ensemble construit approche les 1.000 mètres carré habitables, que la Cour de Cassation n’aurait pas refusé de démolir.

Et c’est bien cela qui gêne dans le capitalisme de connivence macroniste : les chouchous du régime obtiennent un régime de faveur qui pose de sérieuses questions.

Acte IV : combien gagnent les Ferracci au ministère de l’Industrie
Cette question, je la pose directement en reprenant (mais ce n’est qu’un premier épisode) les éléments patrimoniaux de Marc Ferracci, fils de Pierre. Aujourd’hui, le ministre de l’Industrie en France, que nous pourrions aussi rebaptiser ministre des plans sociaux, est actionnaire à 35% d’un groupe spécialisé dans les entreprises en difficulté…

Autrement dit, lorsqu’un patron d’usine écrit à Bercy pour dire « je suis en difficulté », « j’envisage de fermer mon site en France », « je sollicite votre aide pour sauver mon entreprise », c’est un ministre actionnaire d’un cabinet de conseils aux entreprises en difficulté qui répond. Certes, nous voulons bien prêter au ministre le crédit de la bonne foi. Mais enfin, combien de temps peut-il faire croire que Marc Ferracci actionnaire d’Alpha et de Secafi est complètement sourd aux appels de Marc Ferracci sollicité, en tant que ministre, par des entreprises qui cherchent à éviter la faillite ?

Concrètement, sommes-nous sûrs que le sauvetage des entreprises en France n’est pas confié à une famille qui prélève sa « dîme » sur la moindre intervention de l’Etat ? Personne ne peut l’affirmer, mais le seul fait que la question se pose est un vrai sujet aujourd’hui.

Ce serait donc ça, la République macroniste ?