Par David Souto Alcalde, Instituto Brownstone España, nov 28, 2025
Les autorités espagnoles sont incapables d’expliquer aux jeunes en quoi la démocratie diffère du franquisme, et encore moins en quoi elle lui est supérieure. En effet, de plus en plus de jeunes rebelles manifestent ouvertement leur admiration pour le franquisme et affirment qu’ils ne verraient pas d’inconvénient à vivre sous un régime autoritaire comme celui de Franco.
Novembre 2025 est apparemment un mois noir pour le régime de 1978. Même si les Espagnols nous restons leaders en matière de divorces, d’animaux de compagnie, de consommation de cocaïne, de dépendance aux anxiolytiques ou d’opérations de chirurgie esthétique, quelque chose commence à ne plus fonctionner. Les près de cinquante ans de modernité tyrannique à la Almodóvar que nous portons sur nos épaules génèrent de plus en plus de malaise, et notre jeunesse, si habituée à être téléguidée, se livre à des fantasmes new age de réclusion religieuse à propos du dernier album de la chanteuse Rosalía, de fictions audiovisuelles comme Los domingos ou La Mesías, ou de la reconversion calculée au vaticanisme du romancier Javier Cercas. Cependant, ce qui provoque une gastro-entérite plébiscitaire parmi les « démocrates » qui ont conçu la Transition, ce n’est pas cet élan mystique (quoi de mieux pour une génération endoctrinée pour être antinataliste, égocentrique et vivre dans un box que de se réfugier dans un couvent ou un monastère ?), mais le fait que de plus en plus de jeunes rebelles manifestent ouvertement leur admiration pour le franquisme et affirment qu’ils ne verraient pas d’inconvénient à vivre sous un régime autoritaire comme celui de Franco.
Tous les consensus sur lesquels repose notre démocratie idyllique semblent – j’insiste sur le « semblent » – voler en éclats. Pour tenter d’endiguer cette épidémie de discrédit, nos cerveaux les plus éminents ont conçu une campagne de propagande destinée à expliquer aux personnes nées libres les cruautés du franquisme à l’occasion du 50e anniversaire de la mort du dictateur. Le résultat n’aurait pas pu être plus révélateur, car il a montré que le régime de 1978 est une continuation édulcorée du franquisme, mais sans souveraineté, socialement destructrice et plus corrompue. Déterminés à être à l’avant-garde de notre époque, nous sommes passés du statut de réserve spirituelle de l’Occident (qui garantissait que nous étions les gardiens de la tradition) à celui de bordel officiel de l’UE (qui certifie que nous sommes le pays le plus moderne et le plus sodomorphe du monde).
En d’autres termes, si l’on lit l’un des nombreux reportages qui célèbrent à gauche et à droite notre « demi-siècle de liberté », on en conclura que la démocratie espagnole, ménopausée, stérile et hystérique, est incapable d’expliquer aux jeunes en quoi elle diffère du franquisme et, encore moins, en quoi elle lui est supérieure. Nous sommes face à une campagne berlanguienne qui semble avoir été conçue par les Monty Python travaillant au service de la Fondation Francisco Franco pour amener les nouvelles générations, que l’on tente d’éduquer aux valeurs démocratiques et européennes, à faire du néo-franquisme un mouvement underground et de la dictature de Franco une époque messianique de paix et de prospérité dont on se souvient avec nostalgie.
Les démocrates espagnols ne savent pas ce qu’est la démocratie et, pire encore, ils ne sont même pas capables d’imaginer ce qu’elle pourrait être. Ils la confondent avec une version actualisée de cet autoritarisme d’État que le franquisme appelait « démocratie organique » et, pour cette raison, ils l’identifient, entre coups de pied et braiments, à l’accès universel au logement, à l’éducation ou à la santé, mais aussi à la sécurité citoyenne (qui inclut, bien sûr, les lois désastreuses contre la violence sexiste) ou à la protection morale de la population par le biais de boucliers censeurs. Sur tous ces indicateurs (à l’exception, peut-être, de la censure), le franquisme l’emporte haut la main sur la démocratie des années 70, car celle-ci est en passe de nous condamner à vivre perpétuellement en location dans des conditions dignes de rongeurs ; elle a détruit l’éducation en la transformant en un commerce, elle a concentré l’essentiel du pouvoir politique, économique et médiatique entre les mains de quatre familles du nouveau régime et elle est en train de détruire, à force de médicalisation et de précarité, le système de santé.
Ne nous y trompons pas. Si la démocratie consistait à fournir aux citoyens les conditions matérielles et sociales nécessaires pour vivre dans une certaine sécurité, l’Union soviétique ou le franquisme – encore plus ce dernier dans sa deuxième phase – seraient les exemples à suivre. Pensons, par exemple, à la situation désastreuse actuelle de la spéculation immobilière au logement. Le franquisme, aux yeux de n’importe quel millénial (génération Y), semble plus efficace que la démocratie, car afin de neutraliser l’attrait politique du communisme, il a misé sur des politiques publiques visant à transformer l’Espagne en « un pays de propriétaires, et non de prolétaires ». Le taux élevé de propriétaires immobiliers que présente encore aujourd’hui l’Espagne par rapport à d’autres pays européens provient du changement de mentalité impulsé par les politiques franquistes en matière de logement public. Cependant, au nom de la libéralisation économique, notre démocratie a abandonné la construction de logements sociaux et l’a remplacée par une supercherie immobilière qui a soumis la population à une tromperie hypothécaire à l’origine des prix exorbitants qui alimentent la crise du logement.
Mais s’il y a un élément sur lequel la démocratie espagnole compétitive veut se différencier positivement du franquisme aux yeux des nouvelles générations, c’est bien l’accès qu’elles ont eu à une éducation publique qui, nous assure-t-on, est de qualité et permet le fonctionnement de l’ascenseur social. Dans un reportage propagandiste publié la semaine dernière à ce sujet dans La Voz de Galicia, il était affirmé que les bases de notre système éducatif anti-franquiste et couronné de succès avaient été posées dès 1970 (cinq ans avant la mort de Franco !) avec la mise en place de l’EGB, qui « est arrivée comme une bouffée d’air frais dans un système asphyxié par l’idéologie et le retard : promettant des écoles pour tous, des connaissances allant au-delà du catéchisme » et qui, en outre, a remplacé la vétuste Encyclopédie Álvarez par des manuels scolaires modernes. Il semble évident que si la démocratie espagnole a besoin de mentir à la jeunesse en lui assurant que sous le franquisme, on n’étudiait que le catéchisme, c’est parce qu’elle ne sait pas très bien quels sont les acquis de l’éducation démocratique.
Le système éducatif a en fait été le principal instrument de destruction sociale utilisé par la démocratie pour nous soumettre aux intérêts des marchés et renforcer, d’une manière inhabituelle dans l’histoire récente de l’Espagne, un pouvoir oligarchique concentré entre les mains d’une poignée de familles qui ont mis en place le régime de 1978. D’une part, personne ne semble contester que l’enseignement primaire et secondaire se soit détérioré en raison d’un va-et-vient de lois éducatives sans tête. Mais d’autre part, le plus inquiétant et le plus significatif est que les universités, suivant des protocoles de recrutement endogames basés sur la servilité et non sur un engagement en faveur de la connaissance et de la recherche, ont produit une inflation des diplômes supérieurs qui a mis fin à l’idée de mérite. La crise de l’emploi en Espagne a été dissimulée, avec des conséquences fatales, en transformant les citoyens en éternels étudiants. Imitant l’Institut espagnol d’émigration franquiste, qui facilitait l’emploi des Espagnols à l’étranger afin de pallier la situation de l’emploi dans le pays, la démocratie espagnole a rendu possible le départ prétendument volontaire — mais en réalité forcé — de nos meilleurs étudiants et chercheurs à l’étranger. L’objectif n’était autre que d’empêcher ces masses de cerveaux issus des classes populaires ou moyennes de disputer les positions de pouvoir aux enfants de la poignée de familles qui ont dirigé la Transition. En conséquence, les nouvelles élites de la démocratie espagnole sont moins diverses et éclectiques que celles du franquisme, provenant exclusivement des élites fondatrices du régime de 78 et donnant lieu à ce que j’ai appelé dans un autre texte la « bourbonisation de la politique » (pour comprendre cette supercherie, il suffit de tracer l’arbre généalogique des dirigeants de Podemos et compagnie).
La perversité du régime de 78 est, en ce sens, celle d’un autoritarisme qui se considère immunisé contre le mécontentement populaire. Alors que les régimes autoritaires comme le franquisme devaient inclure de manière sélective des membres des classes sociales les plus défavorisées dans leurs organes de pouvoir afin de se perpétuer sans risque majeur de contestation populaire, la démocratie oligarchique espagnole moderne estime qu’elle n’a pas besoin d’être inclusive pour survivre. La grande supercherie de la démocratie espagnole consiste à répéter au peuple que c’est lui qui détient le pouvoir et à avoir « donné » aux membres les plus curieux des classes populaires une éducation universitaire leur permettant de s’expatrier à l’étranger afin que ces membres du peuple se vantent à des milliers de kilomètres de leurs réalisations et ne dérangent pas les quatre familles destinées à gérer nos destins.
La propagande anti-franquiste que nous consommons ces jours-ci est, j’insiste, grotesque. Si dans les médias étrangers comme The Guardian, on attaque le franquisme avec des rumeurs selon lesquelles Franco n’aurait pas été neutre pendant la Seconde Guerre mondiale (on l’accuse de ne pas avoir démissionné après la fin du conflit), en Espagne, le gouvernement produit des vidéos infantilisantes qui identifient la démocratie à l’avortement ou au droit d’être monarchiste, républicain ou promoteur de rumeurs. Il est clair qu’une monarchie constitutionnelle qui assure à ses citoyens qu’ils peuvent être républicains n’est rien d’autre qu’une version dégradée d’un régime à parti unique. Mais cela l’est encore plus lorsqu’elle jure que chacun peut s’exprimer comme il le souhaite et qu’elle encourage pourtant des stratégies de censure qui font pâlir le franquisme auquel elle est comparée. Le ministre de la Culture Urtasun, par exemple, vient d’exclure des célébrations du centenaire de la Génération de 27 Ignacio Sánchez-Mejías, promoteur et membre éminent de celle-ci, parce qu’il est torero et membre d’une Espagne à exterminer. Sans parler des cas de rappeurs emprisonnés, des procès comme celui du procés catalan ou des tout derniers projets de Pedro Sánchez visant à imposer une loi martiale numérique.
En quoi la démocratie espagnole diffère-t-elle alors du franquisme ? La triste réalité nous montre qu’en rien, si ce n’est que cinquante ans ont passé et que la structure fragile qui nous soutenait est désormais rouillée et encore plus corrompue qu’à ses origines. La démocratie espagnole des années 70 n’est pas capable d’assurer les conditions de vie minimales qui permettent aux régimes autoritaires de survivre malgré l’absence de liberté. Consciente de ses défauts, notre démocratie se présente ouvertement comme un régime moderne fondé sur la garantie du libre exercice de la sodomocratie. Au lieu de nous offrir une liberté politique et citoyenne qui la différencie du franquisme (quelqu’un oserait-il dire que nous sommes politiquement libres dans notre régime partisan soumis féodalement aux intérêts de l’OTAN et de l’UE ?), le régime de 78 nous permet de mettre en pratique tout le catalogue des péchés de Sodome, en portant atteinte au bon sens et à la loi naturelle, et en nous forçant ainsi à rendre hommage à ce Grand Salaud qu’est la modernité protestantisée qui nous détruit. Nous pouvons divorcer, avorter, traiter un chien comme s’il était notre amant, abandonner nos aînés ou négliger nos petits-enfants, transformer une main en pénis et l’autre en vagin pour pouvoir applaudir et nous sentir hermaphrodites, mais nous ne sommes pas autorisés à vivre dans une société où nous pouvons nous marier jusqu’à ce que la mort nous sépare, avoir des enfants et disposer d’une petite propriété où vivre en liberté. Dans cette situation, il ne faut pas s’étonner que les jeunes générations affichent un franquisme indie (indépendant) innocent qui se propose de combattre l’infantilisme de leurs aînés, dévoilant ainsi le grand piège des cinquante dernières années : que l’Espagne est devenue une démocratie par la même grâce de Dieu qui a maintenu le Caudillo au pouvoir jusqu’à sa mort dans son lit à un âge déjà très avancé.
En définitive, il n’y a pas eu de transition et, par conséquent, le plus grand danger de ce franquisme indie juvénile est qu’il puisse finir par légitimer un autoritarisme tel que celui représenté par Sánchez ou n’importe lequel de ses opposants, renforçant encore davantage le régime despotique et dégénéré de 1978.
