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ENJEU SÉCURITÉ -‘Frères musulmans’ – rapport officiel et petit bout de la lorgnette

Xavier Raufer. Atlantico

Des siècles durant, la France fut « La Grande Nation ». Comment ? Pourquoi ? Clause-
witz l’explique aux généraux Scharnhorst et Gneisenau, patrons de l’armée prus-
sienne. Admiratif (et jaloux) le stratège définit ainsi la France : « Nation très homogène,
non divisée, bien située, bien délimitée, riche, guerrière et pleine d’esprit ». En français
classique, « Pleine d’esprit » signifie vive, acérée, inventive – l’inverse de la caste diri-
geante du macronisme terminal, lourdingue de rythme et d’expression ; frileuse face
aux grands espaces, aux idées originales ; stérile en matière de diagnostics justes et de
solutions effectives.
Typique de cette besogneuse atonie, le récent rapport « Frères musulmans et islamisme
politique en France » ; lourd démarrage historique ; escapades à l’étranger banales, voire
idiotes, comme la Turquie « dernier bastion frériste au Moyen-Orient » ; or en Turquie,
le frérisme, c’était l’invasive nébuleuse (dite FETÖ) de Fetullah Gülen, (mort aux États-
Unis en octobre 2024), éradiquée de tout le service public, de toute l’armée d’Ankara,
après le putsch raté de l’été 2016. Civils et militaires virés-embastillés par dizaines de
milliers… « Disparitions » sans retour de cadres de FETÖ… Si le Frérisme est bien éli-
miné d’un pays, c’est de la Turquie.

Bien entendu, les médias « d’information » n’ont ni lu, ni critiqué ce rapport, car voués à
encenser le poulain de leur propriétaire à la prochaine présidentielle. Donc, négligé
que le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » oublie l’essentiel,
le plus alarmant et lourd de menaces : la constante, l’étroite collusion, dès sa création
en 1928, voici presqu’un siècle, de la Confrérie (« Ikhwan » en arabe), avec les services
spéciaux britanniques et américains.

Cette affirmation n’est pas issue de racontars, bobards ou bruits fictifs ; mais de mil-
liers de documents officiels déclassifiés à Londres et Washington au fil des ans ; d’où

ressort la nature intégralement mercenaire de l’Ikhwan. On entend d’ici les naïfs : « Et
alors ? Washington et Londres sont nos alliés. Qu’importe, s’ils manipulent une secte
islamiste, ici ou là ? » Pas si vite :
– Le bureau international des Frères Musulmans est toujours au Soudan, en peine
guerre civile : quel rôle y jouent ses agitateurs et bandes armées, pour le compte de
qui ? Qui sait quel protecteur-financier contrôlera demain ce dispositif, si bien im-
planté en Europe et en France ?

– Depuis un siècle, la confrérie a toujours oscillé entre légalisme et terrorisme : dès

1950 avec les « Fedayin de l’Islam », entité terroriste chi’ite iranienne ; en Égypte, le Dji-
had islamique et la Jama’a islamiya, vraies-fausses scissions de l’Ikhwan, assassins du
président Sadate ; aujourd’hui, le Hamas dont les statuts clament l’allégeance à la con-
frérie. De cette duplicité légalisme-terrorisme, rien dans le rapport.

Laissons ces inquiétantes questions à nos gouvernants – s’ils daignent s’y pencher entre
deux campagnes électorales – pour revenir sur la constante collusion entre l’Ikhwan et
divers services spéciaux – d’usage munis de valises richement garnies.
– En 1928, à Ismaïlia, dans la zone du Canal de Suez sous strict contrôle de Londres car
crucial accès au British Raj, Hassan al-Banna fonde la Confrérie, puis ouvre une sous-
cription : premier gros donateur, la Compagnie du Canal de Suez – l’Intelligence Service
sous un autre nom.

– Dans les décennies 1940 et 1950, des archives déclassifiées dévoilent des « officiels bri-
tanniques au Caire » (suivez mon regard…) machinant avec Amin Osman Pacha, pre-
mier ministre d’alors, le financement par leur ambassade de la Confrérie – le texte dit
« enormous bribes ».
– Quand Nasser conquiert l’Égypte, puis nationalise le Canal de Suez (1956), les services
britanniques soudoient la Confrérie pour qu’elle se soulève contre lui.
– En 1953, coup d’État contre le premier ministre iranien-patriote Mossadegh, voulant
récupérer son autonomie et son pétrole. À la manœuvre, les « Fedayin de l’Islam », filiale
chi’ite perse de la Confrérie, financés par MI6 et la CIA ; l’ex ambassadeur iranien à
l’ONU, Fereydoun Hoveyda dit : « Ils portaient sans cesse des valises de dollars à ces
gens (les Fedayin) ».
Les américains maintenant.

Depuis la décennie 1950 et Eisenhower, Washington et la CIA ont toujours voulu sé-
duire la Confrérie – pour se faire invariablement berner :

– En 1953, pour exposer « la force morale et spirituelle de l’Amérique », conférence à
l’Université Princeton, avec des religieux musulmans, dont Saïd Ramadan, gendre de
Hassan al-Banna et « ministre des affaires étrangères de l’Ikhwan ». Longtemps, la CIA
courtise Ramadan… qui clame en 1979 son total appui à la révolution islamique d’Iran.

– Nouveaux flirts Washington-Confrérie sous Bush-fils (2005) puis sous Obama. Hil-
lary Clinton, sa ministre des affaires étrangères, chérit les « musulmans modérés » d’En-
nahda en Tunisie ; or en 2012, les jeunesses islamistes attaquent l’ambassade améri-
caine à Tunis : silence complice d’Ennahda. Damned ! Encore raté…

Dès 1938, Hassan al-Banna expose cette congénitale duplicité dans ses textes, dispo-
nibles en français. Et l’excellent « Secret Affairs, Britain’s collusion with radical islam » dit

tout sur les magouilles MI6-CIA-Ikhwan. De quoi enrichir le superficiel « Frères musul-
mans et islamisme politique en France » ; si bien sûr ce rapport est plus qu’un coup de
pub ministériel pour médias complices.