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La notion de légitimité en politique

 

Par Charles Gave

9 septembre 2019

 

L’État a le monopole de la violence légale, c’est même ce qui le définit et donc il a les moyens de me forcer à obéir. Comme beaucoup de Français, j’aime que l’on m’explique pourquoi je devrais obéir. Et il n’y a que deux explications qui pourront me satisfaire : j’obéis volontairement parce que je comprends le bien-fondé de la demande, ou je le fais parce qu’il y a derrière moi un individu en manteau de cuir gris-vert, respirant très fort dans mon cou et portant une énorme matraque.

Mais l’État n’est rien si ce n’est une abstraction commode pour caractériser un ensemble de personnes qui en contrôlent les rouages et qui vont passer des lois et des règlements que je serai obligé de suivre, faute de quoi ils m’enverront leurs gendarmes, comme dans la chanson de Boris Vian « Monsieur le Président, je vous fais une lettre… que vous lirez peut-être… si vous avez le temps ! ».

La question est donc : comment sélectionner ce personnel qui aura la possibilité de me mettre en prison ? L’histoire des trois derniers siècles semble avoir montré que le régime le moins mauvais était celui qui permettait à la population non seulement de choisir ceux qui allaient avoir accès au monopole de la violence, mais aussi de pouvoir les virer de temps en temps, en général à l’occasion de l’élection suivante. Comme me l’a dit un jour un homme politique anglais d’extrême gauche, Tony Benn, « la démocratie consiste à voter pour quelqu’un dont on se doute qu’il est incompétent et de voter pour le virer 5 ans plus tard, en étant sûr du fait qu’il l’était ». On pense ici à Mélenchon.

La question essentielle de la science politique est donc : comment arriver à organiser dans nos pays ce vote tout en restant certain qu’il sera suivi d’un deuxième vote quelque temps après ce qui est l’essence même de la démocratie ?

Une longue et douloureuse expérience a montré que la condition sine qua non pour que cela marche est qu’il y ait une volonté de vivre ensemble de la population appelée à voter, c’est-à-dire que la démocratie ne pouvait fonctionner que dans une Nation. Mais pourquoi donc va me dire le lecteur ? Une voix est une voix… Voilà qui est faux, complètement faux.

La démocratie ce n’est pas que le comptage des voix et la victoire de la majorité, mais surtout l’acceptation de la défaite par ceux qui ont perdu. Or, ce qui permet d’accepter la défaite si l’on se présente à des élections, c’est la certitude de pouvoir se représenter la fois suivante à de nouvelles élections pour pouvoir gérer cette entité qui « veut vivre ensemble » et qui s’appelle une NATION. Comme le disait Jean-Paul II « La démocratie ne peut fonctionner que dans une Nation », et en tant que Polonais il savait de quoi il parlait. Voilà qui est acquis, du moins je l’espère. Pour que je puisse poursuivre mon raisonnement, il me faut maintenant demander au lecteur d’accepter ce qui pour moi est une évidence et que je résume dans les deux phrases suivantes.

  • Nul ne peut exercer en mon nom une violence légale sur quelqu’un qui ne veut pas vivre avec moi. 
  • Et pour ceux qui acceptent de vivre ensemble, cela implique des élections contradictoires, où le perdant accepte sa défaite. 

Et bien entendu, c’est dans le refus d’accepter la défaite que naissent tous les problèmes, car ceux qui n’admettent pas d’être battus dans un combat loyal sont toujours ceux qui sont certains de détenir la Vérité avec un grand V.  Et ceux-là, par définition, veulent accaparer le monopole de la violence que leur donne le pouvoir politique puisqu’ils ont la Vérité, mais rechignent à se présenter tant ils sont rarement élus. Et leurs moyens pour arriver au pouvoir sont toujours les mêmes et tendent toujours à détruire la volonté de vivre ensemble et donc l’idée même de Nation.

Ils commenceront par trafiquer la réalité historique en prétendant que la Nation est dans son essence une mauvaise institution puisque le nationalisme aurait été responsable de toutes les guerres. Foutaise intégrale puisqu’il n’y a jamais eu de guerre entre deux démocraties. Ce qui crée la guerre c’est l’absence de démocratie et non pas la Nation.  Qui plus est, la guerre n’est pas un mal absolu, il peut y avoir des guerres justes (cf. Saint Thomas d’Aquin) dont un exemple parfait serait la guerre contre le nazisme.

Mais comme c’est toujours d’une volonté nationale clairement exprimée par un vote que vient le danger pour eux, ils feront tout pour détruire la volonté de vivre ensemble qui en constitue le cœur en essayant de créer des groupes antagonistes qui se haïront les uns les autres, hommes noirs contre hommes blancs, hommes contre femmes, immigrés contre ceux qui sont nés dans le pays, homosexuels contre hétérosexuels, nord contre sud… En jouant de ces différences, ils arrivent parfois au pouvoir alors qu’ils sont grotesquement minoritaires. Leur but sera donc toujours de faire naître et d’entretenir la division et si le peuple se révolte, eh bien, on changera de peuple comme le préconisait Bertolt Brecht : « Le peuple a déçu le Parti, il faut donc changer de peuple ». Et ils s’y emploient activement en favorisant par tous les moyens une immigration dont ils espèrent qu’elle votera pour eux le temps venu.

En plus, et pour foutre en l’air la légitimité qui vient du vote à l’échelle de la Nation ils vont tenter de créer une autre légitimité qui elle ne proviendrait pas d’un vote et donc ne peut être que de nature religieuse… Robespierre en des circonstances similaires avait créé le culte de l’Être Supreme, les nazis celui de la race, les communistes le dieu prolétariat et c’est toujours la même idée. Quand on n’aime pas les citoyens et leurs [CG1]  foucades électorales, la seule solution est de créer une religion de remplacement dans l’espoir que le peuple va arrêter de réfléchir.  Pour accélérer la destruction de la Nation il leur fallait donc mettre en place une nouvelle religion, ce qui fut fait. Elle s’appuie sur deux piliers, l’adoration de la déesse Gaia (l’écologie) et le culte des Droits de l’Homme qui s’opposent à ceux du citoyen. Et les vrais croyants comme la pauvre petite ignare suédoise que l’on balade partout en ce moment, de nous expliquer que de ces deux principes naissent une Légitimité qui est de très loin supérieure à celle provenant des urnes nationales. Mission accomplie donc.

Mais en plus des vrais croyants, il faut essayer d’amadouer ceux qui ne le sont pas et qu’il faut donc enfumer. « On » va soutenir par exemple qu’il existe des problèmes qui ne peuvent être traités à l’échelle nationale, du style pollution, réchauffement atmosphérique, immigration, etc. et que ces problèmes requièrent des abandons de souveraineté considérables puisqu’ils ne peuvent pas être traités à l’échelle de la Nation. Il faut donc désigner des « spécialistes » non élus bien sûr, à qui seront délégués les pouvoirs nécessaires. Re- foutaise. Il s’agit la d’un non sequitur logique d’anthologie. Ce genre de questions existe depuis toujours et ceux qui dans le passé étaient chargés de les traiter s’appellent les diplomates, qui rendaient compte à des élus, le lieu des discussions s’appelant des conférences internationales ou des rencontres bilatérales et le résultat, des traités.

Enfin, il est difficile d’exercer le monopole de la violence légitime si l’on n’a pas mis la Justice dans sa poche…  Il leur faut donc capturer la justice de façon à ce que les changements de société qui constituent leur Vérité soient décidés par des juges plutôt que par le vote des peuples. Et pour cela, il leur suffit de ne faire monter dans la hiérarchie judiciaire que ceux qui sacrifient sur les autels de la nouvelle religion. On l’a vu dans l’affaire récente des jeunes identitaires qui ont pris six mois ferme pour avoir défendu la Nation, alors même qu’il n’y avait aucun délit.  Il n’y a rien de plus dangereux pour une démocratie qu’une justice politisée et c’est ce qu’ils veulent organiser. Par contre, si un pouvoir politique élu par le peuple (c’est-à-dire légitime) entend maintenir les juges dans leur domaine qui est d’appliquer le droit et non pas de le créer (ce qui est du ressort du pouvoir législatif), nos nouveaux croyants deviennent ivres de rage, comme on l’a vu au moment de la nomination du dernier Juge à la Cour suprême aux USA.

Pour arriver à leurs fins , ils ont aussi besoin de prétendre qu’ils ont « l’opinion publique » (un mauvais substitut au vote du peuple) derrière eux  et pour cela il leur faut contrôler et la presse et les instituts de sondage, ce qui est très facile : il leur suffit, dès qu’ils sont au pouvoir, de faire passer le contrôle de la presse et des instituts de sondage à de grands brigands qui ne prospèrent que grâce à des contrats en provenance de l’État dans un système que j’ai appelé maintes fois le capitalisme de copinage, système qui n’a rien à voir avec le libéralisme puisqu’il est son contraire absolu. Que le lecteur se donne la peine de regarder qui possède les journaux, les médias ou les instituts de sondage en France ou aux USA et il sera édifié et comprendra la phrase de Mark Twain : « Ceux qui ne lisent pas la presse ne sont pas informés. Ceux qui la lisent sont manipulés ».  Et comme la presse indépendante a disparu, personne ne parlera de rien. Comme le dit l’un de mes amis. En fait : ”il n’y a que deux sortes de journalistes en France, ceux qui ont un boulot et ceux qui sont honnêtes … » Et le but assigné à ces journalistes en voie de prolétarisation rapide est simple : il faut que tout discours contradictoire disparaisse et qu’il y ait un seul « récit » et une seule « vérité officielle ». Comme le disait un autre de mes grands hommes Soljenitsyne : « Imposer une façon et une seule de parler c’est permettre au Pouvoir de repérer immédiatement ceux qui ne parlent pas comme tout le monde » pour, bien entendu, leur faire subir le traitement qu’ils méritent.

Et ce traitement utilisera toujours les mêmes trois outils :

La première étape est de procéder à une excommunication sociale. Ceux qui soutiennent l’idée de la nécessaire prééminence de la Nation seront tournés en ridicule comme étant de vieux crétins, vaguement alcooliques, n’ayant jamais été à l’école et à l’esprit étroit. Pour se faire, on utilisera volontiers les caricaturistes qui créeront des personnages parfaitement haïssables et ridicules du style « le beauf », super-Dupont, le curé en soutane ou le para en uniforme. Le résultat est simple : dire que l’on aime son pays revient à devenir un paria social. Plus de dîner en ville pour vous, et quant à vos enfants, ils seront regardés de travers à l’école surtout s’ils portent une croix pendant qu’ils passent un oral.

Pour les récalcitrants, la deuxième étape est de tuer professionnellement le coupable. Si la victime est universitaire, il ne sera plus invité nulle part et ses livres ne seront jamais mentionnés. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer ce qui est arrivé aux pauvres professeurs qui ont publié Aristotau Mont-Saint-Michel ou le Livre noir du Communisme. Leur carrière s’est arrêtée là, et cela a fait la meilleure impression sur tous les autres qui sont rentrés dans le rang bien sagement. Pour ceux qui ne sont pas universitaires ou fonctionnaires, c’est-à-dire ceux qui travaillent dans le secteur privé, « on » utilisera avec profit l’arrêt des commandes étatiques, les contrôles fiscaux, les inspections du travail, les retards de paiements, l’impossibilité d’ouvrir des comptes bancaires, le soutien amical de tel ou tel syndicat pour créer une grève des transports au moment où l’entrepreneur a besoin de livrer ou d’être livré… Et si rien de tout cela n’a arrêté le candidat à la mort sociale, il reste la méthode Brejnev : un tel individu ne peut qu’être fou et doit donc être enfermé dans un asile. Et il m’est revenu aux oreilles que cela n’est pas aussi rare que cela. J’y reviendrai peut-être dans les semaines qui viennent avec des exemples.

Dans la réalité cela veut dire que l’accès au monopole de la violence ne vient plus du fait qu’une majorité de la Nation a voté pour ceux qui sont au pouvoir, mais trouve sa source dans le fait qu’eux ils sont bons et que ceux qui s’opposent à eux sont donc méchants. Et voilà comment l’on passe sans même s’en rendre compte d’une démocratie à une théocratie, où les méchants doivent être punis comme chacun le sait. Bienvenu au pays des ayatollahs. Et du coup, je ne suis plus puni parce que j’ai commis un crime, mais parce que je ne crois pas dans la nouvelle foi. Mais cela veut dire aussi que je ne suis plus tenu à l’obéissance volontaire. J’ai donc le droit, que dis-je le devoir de me révolter.

Conclusion.

Dans son grand livre que chacun devrait avoir lu, « l’Histoire », Arnold Toynbee explique que le rôle des élites est de traiter à la satisfaction du peuple les problèmes qui se posent à la Nation. Si de fausses solutions sont apportées, le même problème se représentera encore et encore, jusqu’au moment où les élites sont remplacées pacifiquement par une nouvelle élection, par une révolution qui ne sera pas pacifique ou enfin par la disparition pure et simple de la civilisation, ce qui est toujours catastrophique.  L’Europe à ses débuts a été créée pour éviter la répétition des guerres entre les nations européennes. C’était une bonne solution. Comme nous n’avons plus ni armée ni enfants en Europe, le problème des guerres peut être considéré comme résolu. Mais il y a d’autres problèmes qui eux ne le sont pas et ne seront pas résolus par plus d’Europe, mais par moins d’Europe. Et la seule chose que l’on nous propose est encore et toujours plus d’Europe. Et cette solution est refusée par les peuples à chaque fois qu’ils le peuvent. Et que font nos hommes de Davos, car c’est d’eux qu’il s’agit bien sûr, devant ce refus ? Ils essaient de rester au pouvoir contre la volonté des peuples.

En Grande-Bretagne, ils mobilisent ceux qu’ils ont fait élire au Parlement britannique et qui représentent 75 % des députés pour empêcher à tout prix la volonté du peuple d’être mise en œuvre. En Italie, ou 75 % des électeurs ont voté pour des partis anti-européens, « ils » magouillent comme seuls des politiciens peuvent le faire et nous avons maintenant à nouveau un gouvernement italien aux ordres de Bruxelles, ce qui ne peut que mal se terminer.

En France, aux élections présidentielles, les anti-européens ont eu au moins 55 % des suffrages, moyennant quoi nous nous retrouvons avec le gouvernement le plus européen de toute notre histoire. Et notre Président signe à tour de bras de nouveaux abandons de souveraineté (Traité de Marrakech) et n’a pas de mots assez durs pour notre identité historique…

En Allemagne, l’AFD ne cesse de monter. En Hongrie, en Pologne, les partisans de la Nation comme socle de la démocratie sont déjà au pouvoir, mais sont attaqués comme illégitimes par Bruxelles et ses laquais.

Le résultat est évident : nos élites sont le problème dont il faut débarrasser notre pays puisqu’elles ne comprennent rien aux défis que doivent relever nos pays. Elles ont donc failli et donc ne sont plus légitimes et je crois qu’une majorité de Français partage ce diagnostic. Il est temps de remplacer nos dirigeants. Un renouvellement par les élections serait de loin la meilleure des solutions. Faute de quoi il se passera dans la rue.