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Les fonctions de la monnaie

18 novembre 2019

Souvenirs, souvenirs…

Nous sommes en octobre 1963 et un jeune étudiant (moi) s’apprête à entendre son premier cours d’économie, délivré par le Professeur Cluseau, agrégé dans la matière. Et cette introduction porte sur les « fonctions de la monnaie » que j’utilisai déjà, mais dont je ne savais pas qu’elle avait des fonctions. Et là, il apprend avec émerveillement qu’une monnaie doit remplir trois fonctions

  1. Elle doit être un moyen d’échange, pour éviter le troc et faciliter le commerce.
  2. Elle doit être un étalon de valeur, tout service et tout bien ayant un prix dans cet étalon, y compris elle-même, et ce prix c’est le taux d’intérêt.
  3. Et enfin, elle doit être une réserve de valeur, c’est à dire que si je ne l’utilise pas aujourd’hui, je pourrai l’utiliser pour acheter ce dont j’aurai besoin une journée ou un an plus tard.

Le jeune étudiant (toujours moi), émerveillé par tant de profondeur se sentit un peu comme monsieur Jourdain qui ne savait pas qu’il parlait en prose… Et depuis, je n’ai pas cessé de réfléchir sur la monnaie et j’y ai même consacré plusieurs chroniques sur ce site en plus de quelques livres, où j’essayais d’expliquer pourquoi la monnaie avait de la valeur alors qu’elle ne coutait rien à produire.

Et les conclusions auxquelles je suis arrivé après cinquante ans de réflexion étaient que Platon avait raison quand il affirmait que la monnaie était une convention sociale et que le Christ avait quant à lui parfaitement identifié la nature étatique de la monnaie quand il disait « rendez à César (César c’est l’État) ce qui est à César (la pièce de monnaie) et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Dans le fond, l’État, émanation d’une Nation, c’est-à-dire d’une volonté de vivre ensemble, a reçu de cette Nation le monopole de la violence légitime qui est sa prérogative essentielle pour lever des impôts pour, au strict minimum, défendre cette Nation au travers de sa police et de sa justice (paix intérieure) et de sa diplomatie et de ses armées (paix extérieure).

Le problème évidemment est que si César contrôle la monnaie, qu’elle ne coute rien à produire et qu’il commence à avoir des trous à la fin de chaque mois, il est à craindre qu’il commence à manipuler la monnaie pour atténuer ses difficultés de trésorerie.

Les exemples historiques ne manquent pas, depuis Philippe le Bel qui dévalua au moins 12 fois la monnaie dans laquelle il s’était endetté tout en envoyant au bucher les Templiers qui avaient commis l’erreur de lui prêter de l’argent qui ne pouvait être dévalué, en passant par la Révolution française qui transforma la dette de la France en assignats (c’est-à-dire en papier  sans aucune valeur), ruinant de ce fait tous les rentiers de l’époque,  et en finissant par la période actuelle ou ceux qui ont prêté de l’argent à l’État se voient obligés de payer pour ce privilège… Et tout cela parce que notre État vit au-dessus de ses moyens depuis des lustres. En général, celui qui dépense plus qu’il ne gagne finit toujours par faire faillite. Et la question est donc : l’État français va-t-il faire faillite ?

Réfléchissons deux minutes.

Dans le secteur privé, si quelqu’un a emprunté trop d’argent et ne peut pas rembourser, en général cette personne est déclarée en faillite et les préteurs essayent de récupérer tout ou partie de leurs prêts en s’emparant des actifs du failli. Voilà qui est impossible quand il s’agit du souverain.

Un État ne peut pas faire faillite et on ne peut pas s’emparer de ses biens pour solder les dettes qu’il aurait encouru. Quand un souverain fait défaut, ce n‘est pas lui qui perd de l’argent, ce sont ceux qui lui ont prêté de l’argent qui du coup sautent comme des bouchons, telles les banques italiennes au XVIe siècle quand l’Espagne cessa de payer ses dettes, les bourgeois français quand les communistes refusèrent de rembourser les dettes du Tzar et demain les pauvres retraités français qui ont fait confiance à l’État…

Pour renverser une phrase célèbre, l’état en matière financière est coupable, mais certainement pas responsable.

Avant d’arriver au défaut de paiement et comme le personnel de l’État est tout sauf bête, il va essayer en tout premier d’enlever a la monnaie l’une de ses trois fonctions, la fonction « réserve de valeur » car après tout le plus facile est d’essayer de rembourser en monnaie de singe ce qui avait été emprunté en espèces sonnantes et trébuchantes.  Ce qu’il peut faire puisqu’il est le Souverain qui peut changer les termes du contrat qu’il a passé avec les préteurs.

Et là, l’imagination des gouvernements pour ne pas rembourser la contre-valeur de ce qui avait été emprunté a été prodigieuse. Tout a été essayé, ou presque et voici quelques exemples, loin d’être exhaustifs.

  • A l’époque de l’étalon or et comme la dette était en franc français défini par un poids d’or, le plus simple était de diminuer ce poids par FF et presto, la dette était allégée d’autant. C’est ce que les gouvernements français firent avec entrain de 1918 à 1969.
  • Une autre technique, utilisée en 1797 lors de la banqueroute des deux tiers, consiste à rembourser uniquement une partie de la dette, dans ce cas-là un tiers, et de ruiner tranquillement les épargnants, le motif étant donne par le ministre des finances de l’époque : « J’efface les conséquences des erreurs du passé pour donner à l’État les moyens de son avenir ». Ben voyons… Cette solution a été retenue récemment dans le cas de la Grèce lors de la crise Grecque de 2010 et elle me parait avoir un bel avenir devant elle.
  • Un autre moyen, qui se rapproche du premier, consiste à suivre une politique monétaire très inflationniste. Et comme la dette est en monnaie nominale, avec une inflation de 10 % par an, la valeur de la dette baisse de 50 % en 7 ans, ce qui fut fait un peu partout dans le monde pendant les années 70.
  • On trouve de nombreux exemples aussi de cas où les épargnants ont été encouragés amicalement à grands coup de pieds dans le derrière (c’est-à-dire forcés) à acheter de la dette étatique alors qu’ils n’en avaient pas la moindre intention. Imaginons par exemple que certaines banques connaissent des difficultés parce qu’elles seraient bourrées de dettes étatiques qu’on » les a forcés à acheter et que ces obligations ne vaillent plus grand-chose. Il va falloir donc procéder à une augmentation de capital… Très simple, les dépôts bancaires faits par vous et moi dans notre banque seront confisqués pour souscrire à l’augmentation de capital de ladite banque avec laquelle la banque achètera des obligations… d’État, placement sans risque par excellence puisque l’État ne peut faire faillite. Tout cela est déjà prévu par une législation Européenne et ne saurait tarder puisque le ministre des finances allemand propose un accord européen pour « mutualiser » ce genre d’opérations qui sera nécessaire quand la Deutsche Bank va sauter, ce qui ne saurait tarder.

Mais les génies qui nous gouvernent doivent aussi faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que le SERVICE de la dette soit le plus bas possible. Après tout, ce n’est pas la même chose si vous avez 100 de dettes et que vous payez chaque année 0 % ou 10 % d’intérêts. Et comme SEUL le service de la dette est intégré dans le calcul du déficit budgétaire, il est donc de l’intérêt de l’état d’avoir les taux d’intérêts les plus bas possibles pour tenir les fameux 3 % du PIB de déficit maximal, nouvelle ligne Maginot inventée de toutes pièces par la technostructure Bruxelloise, et pour cela nos hommes de gouvernement ont toujours inventé des avantages fiscaux du style de l’assurance vie en France pour inciter les épargnants à se précipiter sur les OAT…

Ce qui me permet de rappeler une de mes règles essentielles pour quiconque veut rester libre : N’achetez JAMAIS quoi que ce soit à cause d’un avantage fiscal. Si c’était un bon produit, il n’aurait pas besoin de cet avantage.

Mais le coup de génie dans cette recherche éperdue de taux d’intérêts les plus bas possibles, c’est monsieur Draghi qui l’a eu en permettant à la BCE d’acheter des obligations d’État directement, en créant de la monnaie « ex nihilo ». Voilà qui fait que les taux d’intérêts que paye l’État Français n’ont plus rien à voir avec des prix de marché, ce qui est bien pratique.

Prenons l’exemple de la France. En raison de notre incontinence budgétaire perpétuelle, la dette a quasiment quadruplé depuis que l’Euro existe (Et portant, monsieur Attali nous avait expliqué que l’Euro forcerait l’État à se reformer. Curieux comme un homme aussi compètent, si on l’en croit, ne cesse d’avoir tort. J’aimerais bien voir les résultats du portefeuille de monsieur Attali … ». Mais les taux ont diminué de 80 % pendant la même période puisque la banque centrale achète les obligations sans rapport aucun avec la « valeur intrinsèque « de ces obligations ou la capacité de remboursement de la France, et donc le service de la dette est resté le même depuis vingt ans, ce qui permet au reste des dépenses de continuer à augmenter puisque le financement ne pose aucun problème.

Cette manœuvre, achat de la dette par la BCE était formellement interdite par les traités qui ont présidé à la création de l’Euro, mais les traités pour les eurocrates, après tout, ne sont que des chiffons de papier, sauf bien sur si un peuple veut sortir de l’Europe. Alors là, immédiatement ils deviennent plus importants que les dix commandements. Le problème de l’État est donc réglé puisque toute la dette qu’il émettra sera achetée par la BCE et, cerise sur le gâteau, cette dette ne lui coutera rien. Nous avons confié les clés de la cave à vins à un sommelier alcoolique et sommes donc en droit d’en attendre des résultats merveilleux, en tout cas, c’est ce que nous dit monsieur Minc.

Nous avons remplacé de fait les impôts par l’impression de monnaie et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, en particulier pour nos technocrates qui du coup, peuvent fort bien se passer des élections et de ces gens qui ne comprennent rien et qui font partie de ce magma informe et quelque peu malodorant que l’on appelle le peuple.  Pour le faire tenir tranquille, il suffira de distribuer une toute petite partie de cet argent nouvellement créée à la maréchaussée qui saura le maintenir là où il doit être, à des endroits où nulle personne normale ne va jamais. Fort bien, mais en détruisant la notion de réserve de valeur et en supprimant les taux d’intérêts qui sont le prix du temps on en arrive automatiquement à détruire aussi la notion d’étalon de valeur puisque du coup la monnaie n’a plus de relation avec le TEMPS.

Je m’explique.

L’intérêt que je touche sur mon épargne est censé me protéger contre l’incertitude du futur. Des taux d’intérêts négatifs veulent donc dire que le futur est plus certain que le présent, ce qui est totalement idiot Le taux d’intérêt est ce qui me permet de me placer dans le temps. Quand il n’y a plus de taux d’intérêts, je ne peux plus faire un choix rationnel entre investir, épargner et consommer et l’économie s’arrête puisque plus personne ne va enlever les billets du matelas pour les mettre à la banque, ou ils seraient utiles.

La vélocité de la monnaie s’écroule, et avec elle l’économie. Nous avons alors une deflation-depression. Aucun problème, diront nos apprentis sorciers, il suffira d’interdire les billets et de tout faire passer par les cartes de crédits, ce qui permettra à ces braves gens épris du bien public de savoir à tout moment où je suis et comment je dépense mon argent. Je ne sais pas si le lecteur a remarqué, mais de nombreuses propositions en ce sens voient le jour en ce moment

Mais bien entendu, cette mauvaise idée ne marchera pas plus que les autres parce que la plus vieille loi économique, dite « loi de Gresham » ‘La mauvaise monnaie chasse la bonne » va se mettre à jouer

Imaginons que je sois obligé de payer uniquement en utilisant mes cartes de crédit mais jamais en billets. Les billets en dollar, en livre sterling vont se découvrir d’innombrables supporters qui commerceront à utiliser ces supports en évitant avec soin d’utiliser la monnaie officielle et l’euro s’écroulera. Ce qui veut dire en termes simples que l’Euro, après avoir perdu sa fonction de réserve de valeur, puis sa fonction d’étalon de valeur perdra aussi sa dernière fonction, celle d’outil de transaction et que son prix ira tangentiellement vers zéro, c’est-à-dire que nous rentrerons en hyperinflation, non sans être passé auparavant par une période de déflation comme je l’ai déjà indiqué.

Et c’est en général à ce point de l’histoire que le gouvernement introduit des contrôles des changes et des contrôles des prix, lesquels précèdent de peu les contrôles sur les mouvements de personne avec l’ouverture de quelques goulags et autres camps de concentration où seront collés votre serviteur et  bon nombre de ses lecteurs (je suis sûr que les listes existent déjà), ce qui nous donnera l’occasion de mieux nous connaitre, mais hélas, l’espérance de vie dans ce genre d’endroits est assez court.

ACHETEZ DE L’OR.